Cette semaine, Me Dominique Tardif de ZSA s’entretient avec l’Honorable René Dussault, juge à la retraite…
1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession?
Pour ce que j’en connaissais à l’époque, le droit me paraissait être une discipline qui me permettrait de toucher à tout plutôt que de me limiter à un cadre étroit. Le maniement de la langue et de l’argumentation me semblaient par ailleurs être des activités plaisantes et intéressantes pour gagner sa vie, alors que l’idée de débattre oralement pour aider les gens m’attirait.
J’ai donc suivi une intuition profonde que je ne n’ai d’ailleurs jamais regrettée et qui ne s’est jamais démentie par la suite. Après le Barreau, j’ai quitté pour l’Angleterre pour y compléter des études en droit administratif au London School of Economics. Intéressé par le débat entre la souveraineté du parlement et la règle de droit, j’ai ensuite travaillé avec Claude Castonguay à la Commission d’enquête sur la santé et les services sociaux, puis l’ai suivi en politique. Après une autre année passée en Angleterre, j’ai pris la présidence de l’Office des professions, et j’ai travaillé comme sous-ministre de la sécurité publique. J’ai pratiqué le droit chez ce qui s’appelait alors Kronstrom Desjardins pendant les années 80. J’ai publié, enseigné à Osgoode Hall Law School puis j’ai été nommé juge à la Cour d’appel en 1989. Deux ans plus tard, j’ai accepté le mandat de la Commission royale sur les peuples autochtones : j’ai ainsi passé cinq ans à Ottawa, puis je suis revenu à la Cour jusqu’à ce que je joigne les rangs d’Heenan Blaikie. Depuis l’implosion du cabinet, je pratique à mon compte.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Pour des raisons familiales, je me suis toujours tenu près de tout ce qui touche le don d’organes. J’ai publié sur le sujet et je me suis impliqué pendant longtemps auprès de Transplant Québec.
Sur le plan strictement professionnel, cela dit, le mandat de la coprésidence de la Commission royale sur les peuples autochtones a été mon plus grand défi en carrière. L’objet de la Commission était l’établissement d’une nouvelle relation entre des peuples et constituait pour moi un véritable voyage au cœur de l’histoire.
La réalité autochtone est une situation unique sur le plan humain et présente un défi majeur de communication interculturelle. Le dialogue est, je dirais, encore à peine vraiment amorcé, et l’émotion peut rapidement prendre le dessus sur la raison. Conjuguer droits ancestraux, droit coutumier autochtone et souveraineté canadienne constitue tout un défi. Le fait de savoir que 1200-1500 autochtones se sont suicidés depuis le rapport spécial de 1995, que nous avions préparé en dehors du rapport final lui-même, m’a fait très mal. On a parfois l’impression de recommencer constamment, d’une génération à l’autre, les mêmes démarches.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, j’éliminerais toutes les procédures et questions périphériques non essentielles à la détermination de la question en litige, qui est celle sur laquelle nous devrions nous concentrer.
J’améliorerais aussi l’accessibilité à la justice, en particulier pour les individus. Je l’ai, en effet, souvent vécu à la Cour : trop de personnes doivent se représenter seules devant les tribunaux, et cela, dans plusieurs domaines.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
À mon avis, le Barreau est plus orienté qu’auparavant vers la protection du public. Tant au Barreau que dans la plupart des ordres professionnels, il y a une évolution sur ce point. Évidemment, il y a loin de la coupe aux lèvres, mais des moyens sont pris pour mieux outiller la profession, qu’il s’agisse de formation continue ou du nouveau Code de déontologie des avocats. La profession comprend mieux, aujourd’hui, que c’est sur ce point qu’elle sera jugée. Les efforts entrepris se répercuteront graduellement sur l’image de la profession et celle que ses membres projettent dans le public. Ultimement, c’est véritablement l’éthique personnelle de chacun qui donne la meilleure garantie d’une image positive – et d’une amélioration de l’image en question. Nous allons, selon moi, dans la bonne direction!
5. Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant réussir?
D’abord, il ne faut pas craindre de penser, en toute modestie, pouvoir enrichir la profession. Cela crée l’objectif et exige évidemment discipline, travail et détermination. Il est également important de demeurer curieux, flexible et ouvert, sans craindre d’accepter les nouveaux défis, même s’ils arrivent généralement au mauvais moment!
Avoir les bons réflexes et développer une capacité de communiquer efficacement, tant verbalement que par écrit, est aussi un grand atout. Le style personnel n’explique jamais le manque de rigueur et de clarté : rappelons-nous qu’il y a quelque chose d’objectif, justement, à la rigueur et la clarté.
Enfin, il ne suffit pas de seulement bien gagner sa vie : cela doit se répercuter sur des engagements sociaux. Il faut bien gagner sa vie, mais surtout, s’accomplir comme personne, en gardant en tête que la détermination d’une seule personne peut encore faire des miracles aujourd’hui.
· Le dernier bon livre qu’il a lu : « Winston : comment un seul homme a fait l’histoire » (auteur : Boris Johnson)
· Le dernier bon film qu’il a vu : Les fleurs bleues (réalisateur : Andrzej Wajda)
· Sa chanson fétiche : Les feuilles mortes (Yves Montand)
· Son expression ou diction préféré : « Aide-toi et le ciel t’aidera! »
· Son péché mignon : Un bon verre de scotch!
· Son restaurant préféré : Le Continental (rue Saint-Louis, Ville de Québec)
· Un pays qu’il aimerait visiter : La Norvège, pour ses Fjords et la ville de Bergen
· Le personnage historique qu’il admire le plus? Churchill, pour sa détermination inébranlable. Quand « on ne lâche pas », on franchit beaucoup d’obstacles.
· S’il n’avait pas fait le droit, il aurait été…économiste!
Pour en savoir plus sur la cause qui tient à coeur l’Honorable René Dussault, les dons d’organes: cliquez ici
M. Dussault a été conseiller juridique, professeur, et sous-ministre de la Justice, en plus d’écrire de nombreux ouvrages. Au cours de sa carrière, Me Dussault a été reconnu, tant au Québec que dans l’ensemble du Canada, pour ses réalisations dans le domaine de l’administration publique et pour ses remarquables contributions à l’avancement du droit, à la profession juridique et à la promotion de l’égalité. Il a reçu de très nombreuses reconnaissances, dont la médaille du Barreau du Québec (1987). Il a été élu membre de la Société royale du Canada (1987) et s’est vu décerner un doctorat en droit honoris causa par les Universités York (1992), Dalhousie (1997) et McGill (2015). Il a été nommé Officier de l’Ordre national du Québec et Officier de l’Ordre du Canada (2010) et a reçu la distinction d’officier de l’Ordre de la Pléiade. Me Dussault a, notamment, siégé sur le Conseil d’administration de Transplant Québec à compter de 2008, et en a été président de 2010 à 2017.