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Les avocats sont devenus des biens de consommation !

13 août, 2017

Cette semaine, Me Dominique Tardif de ZSA s’entretient avec Me Jocelyn Lafond, vice-président, affaires juridiques, et secrétaire corporatif à la société pharmaceutique Theratechnologies.
1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession? Était-ce de tradition familiale? Comment est-ce venu?
Il n’y avait aucun avocat dans ma famille.
Cela ne m’a pas empêché de penser au droit dès l’âge de 15 ou 16 ans. Je n’aimais pas tellement les sciences, j’avais de la facilité pour l’écriture, la lecture et les langues et j’aimais certainement convaincre! Je savais aussi que c’était un métier où, généralement, on pouvait bien gagner sa vie.
En d’autres mots, le droit allait de soi pour moi. Je me souviens d’ailleurs que mon père pensait de la même façon, me disait qu’il me ‘voyait avocat’.
Je suis donc entrée en droit tout de suite en sortant du cégep, et le pratique depuis!
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Je pense spontanément à deux choses. Évidemment, le travail en contentieux est très différent de celui en pratique privée.
En cabinet, le défi est de faire plaisir à tout le monde, qu’il s’agisse des collègues à l’interne, de ses propres clients ou des clients de ceux pour qui l’on travaille. Au-delà du manque d’heures de sommeil et des attentes élevées des clients, la pratique privée offre un très grand défi intellectuellement parlant, comme les dossiers sont chaque fois différents et qu’il s’agit souvent de « naviguer dans le gris ».
Mon plus grand défi des dix dernières années, lui, est quotidien. Depuis que j’occupe un poste au sein du contentieux d’une compagnie publique, je dois être en mesure de juger des faits ou circonstances qui méritent une divulgation en temps opportun. Comme avocat, je suis ultimement le seul à assurer la conformité et à évaluer ce qui doit ou non être divulgué. Quand la nouvelle est bonne, on est évidemment toujours heureux de divulguer. C’est quand la nouvelle est neutre ou mauvaise que la question se pose vraiment, et cela demeure un défi intéressant et quasi quotidien pour moi.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je réduirais les délais nécessaires pour avoir accès aux tribunaux et je simplifierais la procédure entourant les litiges. Quand on est du « côté client », c’est-à-dire en entreprise, on ne peut pas toujours se permettre d’attendre trois ans avant d’aller au fond, et on ne parle ici que de la première instance. On a aussi à composer avec la perte de la ‘mémoire corporative’ et du fil des événements, avec le besoin de retracer d’anciens employés qui ont parfois peu d’intérêt à venir témoigner. À mon avis, l’issue des litiges est teintée par les délais encourus entre l’introduction d’une demande et le moment où la cause est entendue.
Je crois également qu’il serait bénéfique de réduire les attentes des clients quant à la rapidité des réponses. Le client s’attend souvent à une réponse précise en un délai de moins d’une heure et cela crée malheureusement une pression indue et des risques d’erreurs professionnelles.
Des urgences, il n’y en a pas tant que cela, quand on y pense bien. Il y a, cependant, bien de fausses urgences. Les avocats sont peut-être en partie coupables de tout cela, se sentant obligés de répondre très vite compte tenu de la facturation horaire et des hauts taux chargés. La grande compétition y est aussi pour beaucoup : il y a beaucoup d’avocats au Québec et si l’un ne répond pas, ce sera l’autre.
Je me demande parfois – et je pose la question sans y répondre ici – si l’aspect business de la profession n’est pas devenu trop important. Tout le monde aime faire de l’argent, évidemment, mais cela sert-il toujours, au sens pur et idéologique du terme, les meilleurs intérêts de la profession?
4- La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je ne suis pas certain que la perception ait beaucoup évolué. À mon avis, les avocats sont encore perçus, du moins jusqu’à un certain point, comme un mal nécessaire, bien que la perception demeure généralement positive.
Quand les choses vont mal, on veut voir un avocat…mais quand ça va bien, on n’en a généralement pas besoin. Ajoutons à cela les frustrations qui viennent avec le système de justice, et notre profession peut parfois paraître comme étant plus ou moins efficace.
Si les avocats sont encore des gens bien vus au sein de notre société, ils sont cependant, en même temps, aussi devenus en quelque sorte des biens de consommation. On entend rarement quelqu’un dire : « parle à tel ou tel avocat, c’est la bonne personne pour toi ». À l’inverse, trouver un bon plombier ou un bon électricien est souvent quelque chose digne de mention. Le bon plombier ou électricien, pour reprendre le même exemple, est non seulement souvent difficile à trouver, mais peut en général régler le problème en peu de temps. Les avocats, eux, sont nombreux, avec les hauts et les bas que ça comporte (à savoir avec les bons et les moins bons avocats qui composent la profession), et offrent des services dont l’issue peut être ralentie du fait du système, ce qui impacte négativement la perception.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière, voulant réussir et, si possible, se retrouver à la tête des affaires juridiques d’une entreprise, comme vous?
Outre la nécessité de mettre le temps nécessaire à apprendre son droit comme il se doit, il est essentiel de se bâtir un réseau de contacts. Si on pratique en cabinet, cela permettra un jour de générer des dossiers et d’acquérir cette indépendance financière qui est si importante d’avoir vis-à-vis de ses collègues. En entreprise, le réseau de contacts donnera lui aussi accès à des opportunités de toutes sortes.
En parallèle, il faut aussi savoir reconnaître l’élément politique, présent dans toute organisation, et être capable de vivre avec. Qu’on soit en cabinet ou en entreprise, il faut savoir naviguer à travers cela pour y survivre: des dirigeants et administrateurs restent, d’autres passent, des présidents se succèdent, d’autres demeurent en poste, etc.
Le succès professionnel est, ainsi, une question de capacité intellectuelle et à ‘livrer’ ce qui est demandé, en même temps que d’habileté à gérer un peu de politique.
· Il lit… des articles de magazines d’affaires sur la gouvernance, l’économie, le milieu pharmaceutique, et bien des articles et livres sur le cyclisme, sa passion.
· Le dernier bon film qu’il a vu – Sully (réalisateur : Clint Eastwood), qui donne à réfléchir sur la nécessité, dans des situations d’urgence, d’être posé et cartésien pour pouvoir prendre la bonne décision…un principe très applicable au milieu du droit, ajoute-t-il exemples à l’appui!
· Il tape du pied…sur bien des airs, étant ancien DJ! Il aime beaucoup (Who?) Keeps Changing Your Mind de South Street Player.
· Quand la situation le commande, vous pourriez l’entendre dire : « Calme-toi, ça va bien aller ».
· Ses péchés mignons – Le cyclisme et le bon vin!
· Son restaurant préféré – Graziella
· Il aimerait visiter…le Japon et aime toujours retourner en Italie
· S’il n’était pas avocat, il serait… physiothérapeute, comme il est un amateur de sport et prendrait plaisir à desservir cette clientèle.

Natif de Québec où il y a reçu son baccalauréat en droit de l’Université Laval pour ensuite recevoir sa maîtrise en droit de l’Université de Toronto, Me Lafond a débuté sa carrière au sein du cabinet montréalais Lapointe Rosenstein où il a pratiqué en valeurs mobilières et en droit corporatif. Il a ensuite poursuivi sa carrière dans ce domaine au sein des cabinets Legault Joly et Fasken Martineau DuMoulin. Il pratique la profession d’avocat depuis les dix dernières années au sein de la société pharmaceutique Theratechnologies Inc., où il occupe le poste de vice-président, affaires juridiques, et secrétaire corporatif.
Depuis le début de sa carrière, il a été actif au sein de la communauté en occupant notamment le poste de président du comité de droit des affaires de l’Association du Barreau canadien, division Québec, a été membre du Comité exécutif de l’Association canadienne des conseillers juridiques d’entreprise, division Québec, de l’Association du Barreau canadien, et a été co-auteur, avec Me Paul Martel, d’un livre intitulé : Règlement 45-106 – Nouvelles règles sur les placements privés – ce que les sociétés fermées devraient savoir.