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L’étoile des avocats ne brille pas plus qu’avant

13 août, 2017

Cette semaine, Me Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Me Daniel Marion, Vice président, directeur juridique et secrétaire, Thales Canada Inc…
1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou encore une autre profession? S’agissait-il pour vous d’un choix évident, d’un choix par élimination ou d’autre chose?
J’ai toujours eu « le droit en tête ». N’ayant jamais été fort en sciences, il ne s’agissait pas là d’une question. Très jeune, j’avais décidé de lire le Code civil…ça n’a pas duré longtemps, dit-il dans un rire, mais l’idée avait germé!
Je voulais faire du droit international, sans vraiment trop savoir ce que c’était. Je désirais être au centre de l’action et jouer un rôle dans les dossiers d’importance. Mon objectif a toujours été, par ailleurs, de faire quelque chose qui, directement ou indirectement, soit relié au commerce. Le droit me paraissait, pour cela, être une bonne formation de base, outre le fait qu’il s’agissait aussi d’une formation qui garantissait un emploi. En effet, si tout va mal, vous pouvez, en droit, pratiquer dans votre sous-sol dans la mesure où vous avez un site internet et un téléphone! Enfin, ma personnalité plutôt conservatrice et qui tend à évaluer les risques allait également bien avec la discipline.
Malgré mon grand intérêt pour le domaine, j’ai fait le choix de ne pas entrer en droit immédiatement après le cégep: je voulais vivre quelque chose d’autre et ne me considérais pas assez mature pour pratiquer à l’âge de 22 ou 23 ans. J’ai donc opté pour la politique, une expérience qui m’a d’ailleurs beaucoup servi plus tard.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon premier défi, je l’ai vécu lorsque j’ai quitté mon emploi au cabinet ministériel pour me diriger en droit. En politique, vous travaillez avec des gens qui ont des postes de commande, qui ont besoin de vous, qui boivent parfois même vos paroles et qui sont « tous vos amis ». Arrivé en droit, j’ai réalisé que ce n’est pas parce qu’on détient de l’expérience dans un milieu ou qu’on est jusqu’à un certain point connu dans un certain univers qu’on trouvera, dans un autre, un emploi facilement. Il n’est, en effet, pas facile de se réinsérer dans le milieu du travail. Dans mon cas, c’était planifié, mais il fallait de l’humilité.
Mon autre grand défi, ce fut celui de la pratique privée. En litige, on est seul : l’avocat de l’autre côté n’est pas votre ami, votre client n’est pas toujours votre ami – s’il n’avait pas de litige, il ne recourait pas à vous -, le juge n’est pas votre ami et vos collègues s’arrachent parfois les dossiers. Vous êtes donc constamment sur vos gardes, à surveiller vos arrières. Évidemment, cela ne signifie pas qu’on doive vivre dans le consensus cinq jours par semaine pour y arriver et, il est vrai, on a évidemment ses alliés. La pratique privée est un univers difficile, mais qui n’a pas son pareil pour former les avocats : tout est gagné ou perdu avec la préparation. Il ne faut jamais rien prendre pour acquis et il n’y a d’autre secret que le travail.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je réduirais les délais inhérents aux dossiers de litige. Le litige, c’est un peu comme la vitrine du droit, à savoir ce que les gens de l’extérieur voient du droit…et bien des gens ont l’impression que justice n’est souvent pas rendue.
D’ailleurs, de trop nombreuses décisions commerciales se prennent en considération des délais qu’impliquent la judiciarisation des dossiers : on ne peut tout simplement pas attendre que soit rendue une décision, et on choisit la voie économique plutôt que juridique. Dans mes fonctions actuelles, je prends moi-même pratiquement toutes mes décisions sur cette base.
Si vous aviez une bonne cause et saviez pouvoir être entendu en l’espace de dix à douze mois, vous attendriez certainement. Une plus rapide gestion des dossiers changerait également la perception qu’ont les justiciables et les entreprises du droit et de la justice.
À mon avis, encore trop peu de progrès a été fait de ce côté dans les dernières décennies.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je ne crois pas que la perception ait beaucoup changé : ce n’est ni plus négatif ni plus positif. Je ne crois pas, en d’autres mots, que l’étoile des avocats brille plus qu’avant. La perception varie selon moi de correcte à plutôt mauvaise, selon le cas.
Il faut encore se battre, en entreprise, pour que « notre point passe devant ». Une grande proportion de gens, malheureusement, ne nous considère pas comme des personnes avec qui ils ont envie de travailler. Dans ces circonstances, il devient essentiel de « vendre sa plus-value ». Or, il est souvent très difficile de mettre une somme sur notre productivité, même si on peut le faire de temps à autre.
De plus, il est pour nous, avocats représentant une partie, parfois difficile de comprendre pourquoi le juge en est venu à une décision plutôt qu’une autre…alors imaginez-vous ce qu’il en est pour quelqu’un qui n’est pas dans le milieu! Le droit est un domaine qui, à sa face même, est difficile à comprendre. À cela s’ajoute le fait que la justice demeure le parent pauvre du gouvernement, qui n’investit pas l’argent qu’il faudrait pour faire en sorte que les choses s’améliorent en nommant plus de procureurs et de juges ou en s’assurant par exemple que les locaux ne soient pas désuets…
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant un jour être en charge des affaires juridiques d’une entreprise, comme vous?
D’abord, il faut garder en tête que bien des choses que vous faites en pensant qu’elles ne vous apporteront rien vous serviront un jour. Il y a évidemment bien des hasards dans une carrière, mais il est aussi vrai qu’on fait sa chance et qu’on la prépare, pour être « prêt à embarquer dans le train quand il passe ». Pour faire sa chance, on doit pouvoir « vendre » quelque chose que les autres n’ont pas. Parfois, ce n’est pas grand-chose : il s’agit de la façon dont vous vous présentez, de celle dont vous vous adaptez (avec rigidité ou souplesse), etc.
Le commentaire que je reçois le plus dans mon groupe au sujet des juristes en général est le fait qu’ils ne sont pas assez ‘business’. C’est parfois vrai, et parfois non. N’empêche qu’il faut, en entreprise, analyser les dossiers sur le plan pratique et savoir trouver une solution plutôt que de seulement s’en tenir à la réponse juridique, comme on est en général appelé à le faire en cabinet. Il est nécessaire de se demander si la réponse proposée fait du sens non seulement juridiquement mais aussi pour l’entreprise…et il faut toujours une solution, ce à quoi nous ne sommes pas tenus en pratique privée.
Ceux qui entrent en droit aujourd’hui sont beaucoup plus qualifiés que ceux d’il y a vingt-cinq ans. De plus en plus de gens plus qualifiés qu’avant deviennent avocats, mais de moins en moins d’emplois sont disponibles. Je crois qu’il est donc essentiel d’avoir une seconde formation ou une « deuxième corde à son arc » pour se démarquer, qu’il s’agisse des sciences, de l’administration ou d’autre chose.
Je crois aussi que le fait de travailler en pratique privée est essentiel avant de faire le saut en entreprise : il s’agit selon moi de la meilleure formation qui soit, comme il faut très rapidement « faire ses heures » et être rentable, se montrer rigoureux et faire preuve de profondeur.
· Le dernier bon livre qu’il a lu – « Les 30 ans qui ont changé la Chine » (Auteure : Caroline Puel)
· Sa chanson fétiche – « Fire and rain » (Artiste : James Taylor).
· Son expression préféré – « Il n’y a rien de gratuit dans la vie. »
· Son péché mignon – Un bon verre de vin!
· Son restaurant préféré… La table de son épouse Angèle, de loin la meilleure en ville !
· Un pays qu’il aime toujours visiter – La Grèce, où il va chaque année.
· Les personnages historiques qu’il admire le plus – (1) Talleyrand (1754-1838), ministre des affaires extérieures de la France ayant survécu à bien des régimes, ayant travaillé pour les rois, ayant fait la révolution et joué un rôle de premier plan au Congrès de Vienne, (2) Churchill pour sa ténacité et (3) Foucher (1759-1820), le fondateur des services secrets, qui savait quelque chose sur à peu près tout le monde!
· S’il n’était pas avocat, il serait…politicien (de « coulisses », précise-t-il)!

Après des études en science politique et économie à l’Université Concordia (Loyola College) à Montréal, Me Daniel Marion a travaillé en cabinet ministériel (Conseil du Trésor et Finances) à Ottawa de 1980 à 1984. Il a ensuite étudié le droit à l’Université McGill, et est membre du Barreau du Québec depuis 1988.
Il a pratiqué le droit dans un grand cabinet montréalais, principalement à titre d’avocat en litige commercial, pendant quatorze ans. En 2001, il s’est joint à Thales, leader mondial de systèmes électroniques complexes, qui opère dans les domaines de la défense, de la sécurité, de l’espace, de l’aéronautique, et du transport terrestre. Il a d’abord occupé le poste de Vice-président et Directeur des affaires juridiques de Thales Avionics Canada et, ensuite, de Thales Canada.
En septembre 2007, il a œuvré au siège social de Thales à Paris et s’est consacré principalement au financement et aux fusions et acquisitions pour le Groupe Thales à travers le monde. D’octobre 2009 à juillet 2010, il a été nommé Directeur par intérim du département. De juillet 2010 à septembre 2014, Me Marion a été Vice-président, Directeur juridique et secrétaire de Thales Canada (500 millions $). Depuis octobre 2014, il occupe le poste de Directeur juridique Amérique du Nord pour Thales (3 milliards $). Il a piloté ou supervisé des dossiers dans le monde, notamment en Chine, en Russie et au Brésil.
Me Marion a acquis une très bonne connaissance des pratiques en matière de contrôle des exportations. Il a été un acteur principal dans un dossier important (QRS11) impliquant le Département d’État américain et l’industrie aérospatiale. Il a aussi été chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal et Paris Dauphine (Paris IX).