Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, rencontre Guy Pépin, avocat-conseil depuis 2002 au cabinet Bélanger Sauvé.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession?
Pour ceux qui me connaissent, le droit était un peu comme une évidence.
Je suis un produit du cours classique : pendant une retraite fermée destinée à nous aider à faire nos choix de carrière, on nous posait différentes questions sur nos aspirations. On m’a bien demandé si j’avais pensé au sacerdoce…mais renoncer à la vie séculière et aux charmes de la gent féminine me préoccupait trop pour dire oui!
Fils d’un courtier d’assurance décédé quand j’avais 16 ans, j’avais, naturellement, des ‘atomes crochus’ avec ce milieu. On m’avait par ailleurs dit que je possédais un certain talent pour l’expression orale. J’aimais la langue française et revenais toujours, en m’interrogeant sur ce que j’aimerais faire dans la vie, à des activités liées au dialogue et à l’expression. Autant n’avais-je pas beaucoup pensé à la possibilité de devenir avocat avant ce moment, autant est-il devenu évident, cette fin de semaine-là, que les qualités que je me concédais tombaient dans la catégorie de celles requises pour être avocat. Premier de la famille à prendre cette direction, je suis donc entré à la faculté de droit!
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Plusieurs défis me viennent en tête, dont celui du bâtonnat. Si je dois n’en nommer qu’un cependant, ce serait celui de la création d’un cabinet francophone qui soit en mesure de desservir les clientèles francophones et anglophones du Québec et du Canada (Pepin Létourneau). Je rêvais d’un cabinet boutique, qui se ferait connaître et pourrait rivaliser avec les plus imposants dans certaines sphères du droit en particulier. Si, de mon côté, je me suis toujours permis de sortir de ma zone de confort en faisant des mandats spéciaux, le cabinet Pepin Létourneau est devenu connu en litige civil et commercial, principalement relativement aux réclamations d’assurances.
Guy Gilbert et moi avons en effet chacun quitté, à des moments différents, un cabinet de renom pour plus tard fonder le nôtre en 1964. Je travaillais à l’époque en société nominale, à mon compte, et rêvais d’une ‘société réelle’. Les cabinets d’avocats francophones voyaient à peine le jour à l’époque, en ce sens que beaucoup fonctionnaient encore comme des sociétés de dépenses. On m’a certainement dit qu’il était une erreur de quitter mon emploi au sein d’un cabinet qui fonctionnait bien, et qu’il serait difficile pour nous de faire notre niche et d’éviter de devenir des ‘avocats de quartier’, mais je voulais être mon propre patron et pratiquer le droit à mes conditions!
Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je voudrais certainement changer la nature de la relation entre les différents acteurs de la justice au quotidien. Je changerais notamment le rôle du juge, en lui permettant d’être beaucoup plus actif dans la gestion des dossiers. Je ferais en sorte que ce ne soit que dans les cas d’exception, et non l’inverse, que le dossier ne soit pas géré de façon particulière par le juge. Cela aurait par ailleurs pour avantage de nous éviter de changer aussi souvent les règles du Code de procédure civile!
De la même façon, je voudrais aussi redonner aux avocats le sens d’une certaine mission dans le cadre de leur travail et de leurs responsabilités. J’ai, en effet, de la difficulté à comprendre qu’il faille quasi-nécessairement passer par les conférences de règlement à l’amiable ou la médiation pour faire avancer les choses, comme si les avocats ne pouvaient se parler directement et régler les causes plus simplement. Nous avons, à mon avis, perdu dans une certaine mesure le sens du dialogue entre avocats. Quand j’ai commencé en pratique, nous étions 2000 avocats. Lorsque j’ai été bâtonnier, nous étions 7000, et l’anonymat dans la pratique avait déjà commencé à laisser ses traces. Aujourd’hui, encore plus nombreux, nous ne nous connaissons plus : il est donc évidemment plus difficile de se faire spontanément confiance.
En dépit de cela, je crois que tenter de ramener à ce qu’il était le système adversarial, en démontrant suffisamment d’indépendance vis-à-vis de nos clients pour savoir leur imposer ce respect mutuel pour l’autre partie, aurait des avantages importants. Si en plus le juge intervenait davantage, le client mettrait de côté la méfiance qu’il pourrait autrement éprouver à voir les avocats discuter entre eux, et les choses iraient forcément encore plus rapidement, sans abus de procédure, et ce, dans l’intérêt même du client.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Elle est, selon moi, moins bonne qu’auparavant.
D’abord, mentionnons que, selon les statistiques, environ 35% des contribuables se représentent désormais eux-mêmes. Quelque chose doit changer à cet égard. Évidemment, les honoraires très élevés comptent certainement parmi les facteurs qui conduisent à cette situation.
À mes débuts en pratique, les choses étaient pourtant bien différentes : il existait ce qu’on appelait l’assistance judiciaire (l’ancêtre de l’aide juridique) et, outre ce système, tous les avocats ou presque faisaient du pro bono. Je faisais pour ma part, de ma résidence, des consultations gratuites deux soirs par semaine. De ces consultations découlait parfois un mandat rémunéré, mais l’objectif était avant tout de rendre service, sachant que si une de ces personnes avait un jour besoin de moi pour un dossier plus important, elle se souviendrait de moi. Nous étions beaucoup à fonctionner de la sorte. C’était aussi l’époque où le tarif horaire était encore relativement peu utilisé : la facturation était généralement faite en fonction du mandat, de l’importance de l’affaire et du résultat obtenu.
Je suis bien sûr tout à fait conscient qu’aujourd’hui, cette façon de faire n’est plus possible, mais les changements décrits ci-dessus ont à mon sens eu un impact négatif sur la perception à l’égard de la profession.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et souhaitant devenir un plaideur de renom?
Le métier de plaideur en est un difficile et stressant : il faut donc être un peu rêveur et idéaliste pour persister et y faire carrière! Peu de chirurgiens pratiquent après 65 ans; de la même façon, peu d’avocats plaident à cet âge!
L’avocat de litige doit avoir, pour réussir, la passion et une bonne capacité d’écoute, en plus de faire preuve d’empathie. Il doit savoir prendre fait et cause pour son client tout en sachant garder son indépendance. Il doit, une fois le client informé des courants jurisprudentiels et du fait que sa thèse est ou non plus favorable que la thèse inverse, savoir reconnaître les questions de principe qui méritent d’être présentées devant les tribunaux.
Il faut, dans ce métier, aussi être prêt à faire certains sacrifices, accepter de ne pas avoir une vie routinière et assumer les conséquences que la pratique peut parfois avoir sur sa vie personnelle. Il faut être curieux et aimer la recherche.
Pour être bon plaideur, il faut, en résumé, avoir un minimum d’idéal, se sentir interpellé par les enjeux en cause et être passionné par le fait de défendre le point de vue de quelqu’un.
En vrac…
• De bons livres : Le dernier qu’il a aimé, c’est Steve Jobs (Walter Isaacson). Quant à un livre qui l’a beaucoup marqué : Les rois maudits (Maurice Druon), un roman historique extraordinaire relatant une partie de l’histoire de la France.
• Il écoute beaucoup…Jacques Brel et Jean Ferrat
• Il dit souvent : ‘On peut me faire tourner sur un dix cents en me prenant au flan, mais on ne peut me faire bouger en me prenant de front.’
• Son péché mignon – Une bonne table!
• Son restaurant préféré – La Vanoise (Sainte-Adèle)
• Il adore…Paris!
• Parmi les personnages historiques, il admire… Napoléon, pour son génie de gestion, son génie militaire et son génie civil. Un homme de potentiel, d’une grande versatilité et d’une incroyable multidisciplinarité.
• S’il n’était pas avocat, il serait … capitaine de bateau!
Du début de sa pratique jusqu’à 2007, Me Guy Pepin a représenté des compagnies d’assurance de dommages, en demande et en défense, notamment dans des litiges impliquant des entreprises de construction et différents professionnels reliés à cette activité. Me Pepin a fondé son cabinet en 1964 et, de 1976 à 2002, a pratiqué en société sous le nom de Pepin Letourneau. Il est avocat-conseil depuis 2002 au cabinet Bélanger Sauvé.
Me Pepin est diplômé de l’Université de Montréal. Il fut admis au Barreau du Québec en 1959.
Il a été Bâtonnier du Québec en 1978-1979, Président de la Fédération des professions juridiques du Canada (FPJ) en l983-l984 et Président de la Commission internationale des juristes vers 1990.
Depuis environ 15 ans, il concentre sa pratique sur le litige dans des causes complexes en matières civiles et commerciales
Il a aussi été membre de nombreux comités au Barreau de Montréal, au Barreau du Québec et au Barreau Canadien.
Me Pepin a reçu le titre de Fellow du American College of Trial Lawyers en 1991, une attribution qui n’excède jamais plus d’un pour cent de l’ensemble des avocats exerçant dans une province ou un état. Il a, au cours de sa carrière, plaidé devant tous les tribunaux du Québec et, de façon régulière, devant la Cour suprême du Canada dans des affaires de droit civil, de responsabilité, d’assurance et, occasionnellement, comme avocat conseil, dans des mandats spéciaux. Il touche aussi parfois au droit des affaires.