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Faisons parler les leaders – Anne-France Goldwater

29 January, 2013

Cette semaine Dominique Tardif rencontre la très médiatisée avocate en droit de la famille Anne-France Goldwater. Elle se confie sur les raisons qui l’ont poussé à faire du droit, sa vision du métier et revient sur le cas Éric c. Lola. Malgré une carrière de plaideuse réussie, Me Goldwater n’a pas toujours voulu être avocate. Elle nous raconte comment tout a commencé…

Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier/profession ?

On veut tous répondre à cette question en disant que c’était un choix planifié, mais la réalité dans mon cas est tout autre. Mon objectif initial était d’entrer en médecine, mais j’avais obtenu mon acceptation en droit, couplée de bourses d’entrée. J’étais très jeune à l’époque, et j’ai donc décidé de faire le droit, en me disant que je ferais ensuite la médecine.

Quand mon père est décédé après que ma mère nous ait déjà quittés, je me suis retrouvée dans une situation où je devais travailler, où je devais « avoir une vie d’adulte » et gagner ma vie. Je suis donc restée en droit. Et c’est à travers la pratique que j’ai découvert l’amour du droit. J’avais à peine plus de 20 ans, et j’ai ouvert mon bureau, acceptant le travail qui se présentait pour assurer les entrées de fonds, et ayant une pratique généraliste qui m’amenait à faire tant du droit criminel que du droit de la famille. J’ai adoré le droit criminel d’ailleurs, mais le type de clientèle et ma situation de jeune mère de l’époque m’ont amenée à plutôt me consacrer au droit de la famille. J’aimais – et j’aime toujours beaucoup d’ailleurs – traiter avec « du vrai monde, dans la vraie vie et avec de vraies histoires ».

Quel a été le plus grand défi du dossier Éric c. Lola, pour vous ?

Dans ce dossier, le défi n’était pas tant pour moi de faire du droit civil ou de traiter de questions constitutionnelles. Ça n’était en effet pas nouveau pour moi, ayant par exemple déjà travaillé sur le droit au mariage chez les couples de même sexe, ayant traité de la question de la tri parentalité dans la reproduction assistée ainsi que du droit au divorce religieux.

Le défi entourait le problème de la communication au public. Éric c. Lola a touché la communauté du Québec, et surtout les francophones, qui sont ceux qui, dans notre communauté, se marient le moins. On savait donc que le dossier susciterait des réactions de toutes sortes, comme il touchait beaucoup de gens. Ce qui m’a étonnée cependant est le fait qu’autant de gens aient une réaction négative ; il y avait de la haine et des attaques personnelles exprimée envers la dame, de même qu’envers moi. Il est malheureux de constater que les gens ne font pas toujours la différence entre la personne, la cause et l’avocat.

Le défi pour l’avocat est, dans les cas comme ceux-là, de maintenir cette obligation de garder le discours à un niveau qui soit digne de la profession. C’est notre défi à tous, et c’en est un difficile qu’on ne réussit pas toujours à atteindre. Au départ, je prenais les attaques contre ma cliente de façon très personnelle. Il est dur, vous  savez, de se faire traiter de tous les noms. Il faut trouver non seulement une façon élégante de répondre, mais s’assurer en même temps que les gens écoutent et comprennent. S’en tenir au fait que les propos tenus sont impolis, « endort » les gens – il faut prendre la parole avec force et vigueur. Il aurait été facile de dire que le problème ne touchait pas ma communauté personnellement, mais je n’ai pas pris cette attitude. Ce n’est pas parce que quelque chose ne nous concerne pas individuellement qu’il ne faut pas prendre fait et cause et défendre les intérêts de la collectivité.

Si vous pouviez changer quelque chose à la pratique du droit, de quoi s’agirait-il ?

Il s’agirait de faire encore davantage avancer une chose qui a déjà commencé à changer, à savoir le « case management ». Je crois que nous pouvons faire plus que ce qui est fait aujourd’hui, comme signifier et produire les documents par voie électronique, et éviter d’avoir à toujours manipuler du papier. Je crois que les salles de la cour pourraient être munies d’ordinateurs en réseau, question qu’on puisse tous regarder les mêmes pièces en mêmes temps, parties et juge inclus.

De plus en plus de cabinets fonctionnent électroniquement, les petits comme les gros. Je crois que les palais de justice devraient nous rejoindre davantage sur ce point. Pourquoi, dites-moi, les procès-verbaux sont-ils encore remplis à la main ? Tout cela implique du temps, des délais et de l’argent.

Il sera moins coûteux et plus rapide de gérer un dossier une fois l’infrastructure mise en place. Et pour mettre l’infrastructure en place, je crois que l’on devrait demander à quelques cabinets, plutôt qu’au gouvernement, d’agir comme consultants. On s’assurerait ainsi que le système implanté le soit par des gens qui connaissent et utilisent déjà ces méthodes de fonctionnement, et qui pourraient donc mieux conseiller le palais de justice que des tiers qui sont étrangers au processus.

La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique ? Et pourquoi, à votre avis ?

Je ne crois pas que les choses sont mieux ou pires. Les gens ont toujours dit à la blague que les avocats sont horribles (rires)! Et il y aura toujours une tranche de la société pour penser cela. Pourtant, et c’est là la contradiction, ces mêmes personnes se montrent souvent tellement fières lorsque leur enfant est accepté à l’école de droit!

Dans n’importe quelle cause judiciaire impliquant les médias, les avocats sont perçus comme le miroir de leur client. Quand une cause coûte des millions de dollars, il ne faut pas oublier, même si l’avocat est malgré tout souvent blâmé, que cela reflète aussi le mandat des clients, que l’avocat est par ailleurs tenu d’exécuter. Évidemment, il y a des bémols à cela, en ce que l’avocat a, dépendant du client, la marge de manœuvre nécessaire pour expliquer à un client hors de lui, dépressif ou agressif de ne pas faire telle ou telle chose. Cela dit, le tiers qui regarde le cas de l’extérieur peut parfois penser que le dossier est terrible – mais il relève parfois de la volonté des gens d’être dans le conflit, vous savez. Je crois, et c’est là qu’il y a un espoir d’amélioration de l’image de l’avocat, que les gens ont de plus en plus conscience que le rôle de l’avocat est de résoudre les conflits, notamment par la médiation, la conciliation et les négociations de règlements. Sans nous, après tout, ce serait l’anarchie et la violence dans les rues!

Quel conseil donneriez vous à quelqu’un débutant sa carrière, qui veut être une personne reconnue dans son domaine et ayant accès à de grandes causes ?

Nous laissons au Québec les gens entrer en droit immédiatement après le cégep…et on ne sait souvent pas ce que l’on veut faire à cet âge. La première chose à faire est de cibler le domaine qui nous intéresse. Tout le monde n’a pas, par exemple, « les tripes » pour faire du droit de la famille ou du droit criminel. Cela implique d’être capable de traiter avec des gens en larmes ou en furie, ou avec des gens qui ont des problèmes émotionnels de longue date ou encore des problèmes causés par une rupture.

La partie de la profession et de ma pratique que j’aime le plus est le défi intellectuel, à savoir la possibilité d’établir des précédents importants.

Il faut avoir la patience de lire les nouveaux jugements pour avoir une connaissance qui soit suffisamment vaste. Les jugements de la Cour suprême, il faut les lire au complet, incluant les dissidences et ne se contentant pas des résumés !

Il faut aussi savoir préparer ses causes et ne pas argumenter au pied levé. Si vous avez ce genre d’amour pour le DROIT en lettres majuscules, vous bâtirez la fondation nécessaire à ce genre de causes. Ce n’est pas qu’une question d’événements sociaux : je déteste moi-même côtoyer des gens en fonction de leur revenu ou de leur appartenance à des groupes, et je suis une personne très privée. Je préfère de loin le contact entre « vraies personnes », et je ne crois pas qu’on se bâtit une réputation en chassant les PDG sur un club de golf, même si on peut certainement en le faisant se bâtir une clientèle fortunée!

En vrac…

Dernier bon livre qu’elle a lu : « Le Train pour Samarcande » Auteur : Danielle Trussart

Dernier bon film qu’elle a vu : « City of Life and Death » Réalisateur : Lu Chuan

Restaurant préféré : La Queue de Cheval (rue René Lévesque Ouest)

Pays qu’elle a visité et où elle aimerait retourner : Le Costa Rica

Si elle n’était pas avocat, elle serait… Recherchiste dans la science génomique de l’homme

Bio
Me Anne-France Goldwater, titulaire d’un baccalauréat en droit de l’Université McGill exerce le droit de la famille depuis 30 ans. Elle est l’auteure de plusieurs articles relatifs au droit familial, tel que sur l’aliénation parentale, l’enlèvement international, la faillite en contexte du droit de la famille, l’enrichissement injustifié entre les conjoints de fait, et les nouvelles problématiques relatives à la filiation. Me Goldwater a réussi à faire évoluer de principes de droit tels que: l’exercice conjoint de l’autorité parentale, la reconnaissance du syndrome d’aliénation parentale, le droit des enfants à l’avocat de leur choix et d’avoir le statut de «partie» dans un litige familial. En 2003, elle a obtenu gain de cause dans la reconnaissance du mariage des couples de même sexe en faisant échec aux dispositions législatives fédérales et provinciales discriminatoires. Elle reçut la même année le Prix de l’Alliée, remis par l’Association du Barreau Canadien, pour sa contribution en faveur de l’égalité des couples gais et lesbiens. Tout récemment, Me Goldwater a eu gain de cause en Cour d’appel dans la cause d’Éric c. Lola, mettant en jeu la constitutionnalité de nombreuses dispositions du Code civil qui sont discriminatoires à l’encontre des conjoints de fait. Me Goldwater conteste actuellement la constitutionnalité des barèmes québécois relatifs à la pension alimentaire pour enfants.
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