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Faisons parler les leaders – Dominic Jaar

29 January, 2013

Dominique Tardif rencontre cette semaine l’ancien chroniqueur techno de Droit-inc Dominic Jaar. L’avocat qui cumule les casquettes, évoque son parcours, ses plus gros défis et son “meilleur coup”.

Dominic Jaar est associé au sein de l’équipe de juricomptabilité KPMG et chef national des services de gestion de l’information et preuve électronique.

Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier/profession?
Je voulais, en fait, faire du théâtre : quand j’ai un jour annoncé à mes parents que j’allais entrer au Cégep de Saint-Hyacinthe pour ma formation, ils m’ont plutôt conseillé de d’abord trouver “une profession”, et de faire du théâtre ensuite si le cœur y était. J’ai donc appliqué un peu partout, et ai été accepté à chaque endroit… sauf en géologie! J’ai véritablement tiré au sort entre le droit et la médecine, et ai pigé l’option qui m’envoyait en droit à l’Université Laval. Aurais-je triché si j’avais obtenu une enveloppe qui ne correspondait pas à mes souhaits? Peut-être, mais nous ne le saurons jamais!

Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi a été de laisser la pratique du litige que j’avais chez Bell pour me consacrer au démarrage de mon entreprise.
J’avais commencé chez Bell à m’intéresser à la problématique de gestion de l’information en grande entreprise, étant impliqué dans des dossiers où il y avait beaucoup de preuve électronique et documentaire. Je réalisais qu’il y avait sur le marché une véritable opportunité pour ce genre de services. Cela dit, j’avais aussi des responsabilités, et une femme et deux enfants à la maison. Pour démissionner de mon emploi et fonder mon entreprise, il me fallait donc un plan. Et ce plan, il est survenu dans le cadre de la restructuration de Bell : j’ai discuté avec ma supérieure de l’époque de mon intention de me lancer en affaires, en proposant de demeurer en même temps chez Bell comme employé contractuel à temps partiel. L’option n’en était malheureusement pas une à l’époque, et j’ai donc pris l’enveloppe de départ. C’était un risque, et j’avais un an pour que ça fonctionne, mais avec le recul, je peux dire que “c’est le meilleur coup que j’ai fait”!

Si vous pouviez changer quelque chose à la pratique du droit, de quoi s’agirait-il?
L’usage des technologies ! Je ne comprends pas que les avocats ne les utilisent pas davantage. Je comprends, cependant, que l’avocat vend des heures et qu’il n’est peut-être pas rentable de ‘vendre’ moins d’heures au motif qu’il a accès à des technologies très performantes, surtout s’il doit pour cela assumer en plus les coûts d’acquisition de cette-même technologie.
N’empêche que les avocats sont parmi les individus les plus exigeants qui soient socialement : aucun ne tolèrerait une chambre d’hôtel avec un téléviseur noir et blanc des années 50, une épicerie qui n’accepterait pas les cartes de crédit ou une banque qui exigerait qu’on se déplace en personne pour avoir accès à son relevé de compte.
Mais pourtant, l’avocat offre encore des services à ses clients avec des outils du 18ème siècle! On m’envoie encore des documents par courrier, que je reçois pour signature et que je dois ensuite retourner. La manutention de papier est non seulement longue, mais implique aussi une dépense. Pourquoi ne pas recevoir tout cela un courriel et signer électroniquement?
Le milieu juridique parle aujourd’hui beaucoup de la nécessité d’apporter de la valeur ajoutée, notamment, par la gestion de projet pour contrer la compétition croissante. Je crois pour ma part qu’il n’y a pas de valeur ajoutée tant qu’on demeure inefficace. La chose à changer, à améliorer et à rehausser, c’est justement l’efficacité, ce que l’usage des technologies permettrait et qui donne, à long terme, une plus grande profitabilité à la pratique du droit.

Vous qui avez passé les dernières années en entreprise, qu’est-ce qui, selon vous, changera quant à la pratique de la profession en entreprise, qu’on le veuille ou non?
Je crois que nous faisons face à deux tendances qui sont complètement à l’opposé l’une de l’autre : (1) l’isolement et (2) le repositionnement stratégique des départements juridiques.
Dans le premier cas (celui de l’isolement), le département juridique devient un intervenant impliqué de façon ponctuelle par ceux qui prennent les décisions au sein de l’organisation. L’avocat interne est alors appelé à décider si telle ou telle action est ou non légale, sans plus. C’est selon moi pour l’avocat interne que de courir à sa perte d’agir ainsi, car à moins d’un très grand volume d’affaires, il devient en ce cas souvent plus rentable de recourir à un spécialiste externe.
Dans le second cas (le repositionnement stratégique), le département juridique participe au contraire de façon proactive, plutôt que réactive, aux décisions. Revenons-en au premier cas, soit à celui des gens qui grossissent les départements juridiques internes tout en demeurant des centres de coûts. Non seulement participeront-ils à leur isolement, mais aussi à la décision de la haute direction de diminuer à terme les effectifs. Ces gens sont par exemple ceux qui trouvent trop souvent une raison pour dire non, pour affirmer que les risques sont trop grands, et qui sont incapables de répondre à des questions pointues.
Nous avons évidemment des obligations déontologiques sévères, qui nous contraignent souvent à dire « noir » ou « blanc », plutôt que de nuancer et prendre des risques. Le travail de l’avocat est d’anéantir et identifier le risque, alors que les entrepreneurs sont là pour prendre des risques proportionnels aux bénéfices escomptés. Une autre difficulté vient du fait que les entreprises mettent en même temps de la pression sur les avocats externes pour faire baisser les taux et suggérer des modes alternatifs de facturation. Il n’y a pourtant pas toujours un incitatif à diminuer les taux ou à partager le risque par un cabinet, compte tenu du peu de fidélité que ces mêmes entreprises ont souvent à l’endroit de leurs avocats externes, allant chez le compétiteur pour sauver ne serait-ce que quelques dollars. Je crois qu’il doit y en avoir pour les deux, et que parfois nous assistons à une relation très à sens unique.

La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Encore ici, notre positionnement nous limite un peu. Il n’y a aucun risque à déclarer “pas de commentaire”. C’est plutôt la seconde où l’on prend la parole qu’on prend non seulement un risque pour soi, mais aussi pour son client. Si la crainte de ne pas nuire à notre client ou de se faire poursuivre n’était pas aussi forte, peut-être parlerait-on davantage.
Je crois que le public a une perception de la profession qui est proportionnelle à la relation qu’il a avec elle. Et il n’y a pas beaucoup de relation possible entre le public et les avocats, outre les cas de divorce, de recours collectifs et de droit criminel… La perception est au surplus biaisée par les médias et quelques “pommes pourries” qui font la une, alors que pourtant la très grande majorité des avocats sont compétents et raisonnables. Je lève en ce sens mon chapeau aux initiatives comme Visez Droit, qui aident à créer une relation avec le public. Il devrait y avoir ce genre d’initiatives plus souvent, pour sensibiliser les gens à ce que les avocats font réellement.
L’amélioration de la perception en étant “de notre temps” pourrait sans doute elle aussi améliorer les choses. Éliminer les sites web des années 90, avec une image de balance ou de marteau en bois (!), permettre le paiement par carte de crédit ou mettre au rencart le langage clanique et exclusif propre à certains, ne pourrait certainement faire aucun tort!

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière après avoir été assermenté?
Le droit est une formation sociale qui permet de comprendre, de façon plus approfondie, la société dans laquelle on vit. Elle permet par exemple de comprendre les systèmes parlementaire et législatif, ainsi que la division des pouvoirs. Cette compréhension de la “machine sociale” nous permet de bien nous positionner dans bien des sphères d’activités, et non seulement comme avocat. Pourquoi donc ne pas utiliser le droit pour faire ce qu’on aime, plutôt que de s’enfermer dans un certain dogmatisme souvent injustifié ? Je réalise en effet, avec les années, que peu de gens sont amoureux du droit en lui-même et comme finalité. Selon moi, c’est plutôt un outil qui peut être utilisé à bien des fins. Il faut faire ce que l’on aime, être passionné et, osez, si nécessaire, faire autre chose en utilisant le droit comme tremplin. En conclusion : osez !

En vrac…
• Son dernier bon livre : « Delete : The Virtue Of Forgetting in the Digital Age » de Viktor Mayer-Schönberger.
• Un film qu’il voit et revoit tous les ans : « Baraka ») (Réalisateur : Ron Fricke).
• Son resto préféré : Café des artistes  (Puerto Plata) et Europea (Montréal).
• Il veut visiter… Les Maldives, avant qu’elles ne disparaissent.
• S’il n’était pas avocat, il serait… dans une île à gérer un B&B spécialisé en plongée sous-marine et où l’on ferait les meilleurs Mojitos!

Bio
Me Dominic Jaar est associé au sein de l’équipe de juricomptabilité KPMG et chef national des services de gestion de l’information et preuve électronique. Ses fonctions consistent à apporter du soutien aux organisations en matière de gestion de l’information (GI) et de preuve électronique (eDiscovery – EDD). Il enseigne le droit du commerce électronique et de l’Internet à l’Université de Montréal. Il est aussi un conférencier recherché pour aborder les problématiques liées à la gestion de l’information et l’administration de la preuve électronique dans diverses universités nord-américaines et lors de congrès internationaux. Avant d’entrer chez KPMG, Me Jaar était le directeur général du Centre canadien de technologie judiciaire ainsi que le fondateur et président de Conseils Ledjit, la firme conseil canadienne en GI et EDD, qui fait le pont entre le droit et les technologies™, et dont KPMG a fait l’acquisition. Avant de fonder Ledjit, Me Jaar occupait le poste de conseiller juridique chez Bell Canada et celui d’avocat plaideur en litige commercial au sein d’un des plus grands cabinets d’avocats au Canada, où son travail portait sur les TI et les litiges complexes. Me Jaar a participé, à l’échelle internationale, à l’élaboration de nombreuses normes et pratiques exemplaires concernant la GI, l’EDD, ainsi que le droit et la technologie. Il a aidé plusieurs organisations multinationales à évaluer leur capacité en matière de GI et d’EDD, à élaborer et mettre en œuvre une stratégie, une gouvernance, une culture et des technologies en GI et EDD, ainsi qu’à internaliser diverses phases du modèle de référence en administration de la preuve électronique (Electronic Discovery Reference Model – EDRM).