Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier/profession?
Contrairement à bien d’autres de mes collègues, je ne peux affirmer avoir rêvé d’être avocate depuis ma tendre enfance. À l’école, j’aimais beaucoup les sciences, et c’était donc davantage dans cette direction que je me dirigeais initialement. J’avais aussi un intérêt pour l’architecture, étant toujours impressionnée, quand je voyageais plus jeune en Europe en famille, par les monuments, les bâtiments et les différents sites.
En parallèle, j’étais beaucoup impliquée dans les troupes de théâtre, les concours oratoires, etc. J’avais un certain plaisir à m’exprimer en public et à débattre de sujets. « Tu ferais une bonne avocate» est une phrase que plusieurs m’ont dite! Tout cela m’a progressivement amenée à faire un choix pour le droit, un choix qui à l’époque était somme toute assez arbitraire, mais qui m’a beaucoup plus!
On a beaucoup entendu parler de vous dans le cadre du dossier Robinson c. Cinar et al., qui vous a mené à un procès de huit mois. Qu’est-ce qui a fait en sorte que, si rapidement dans votre carrière, vous avez pu mener ce dossier? Quels sont les défis que vous y ont amenés?
Les premiers défis que je me suis lancés dans ma carrière m’ont amenée à travailler en pratique privée avec Me Marc-André Blanchard (aujourd’hui juge à la Cour supérieure du Québec), et ont fait en sorte qu’on m’a confié ce dossier par la suite.
Le premier défi a été pour moi de choisir un secteur de droit qui allait vraiment me plaire. Nous en étions à la fin des années 90, à un moment où des amendements importants étaient faits à la Loi sur le droit d’auteur et où le droit de la propriété intellectuelle était en pleine évolution, en même temps que les nouvelles technologies.
Sur le plan personnel, j’avais toujours été intéressée par la culture et les arts et le domaine de la propriété intellectuelle. Plutôt que de me spécialiser par le biais de la pratique, j’ai décidé de le faire par les études. Ces études, je les complétées en France, comme il s’agissait là-bas d’un domaine florissant qui me donnait en même temps accès à une législation qui n’était pas tellement éloignée de celle du Québec.
Mon deuxième défi professionnel a été de rester en France et d’y travailler : je ne pouvais pas refuser cette belle opportunité de pratiquer en litige de propriété intellectuelle au sein d’un cabinet français (Walker & Associés) spécialisé en droit du divertissement. Ce qui devait être une année d’étude à l’étranger s’est ainsi prolongé : je suis restée en France trois ans. De retour au Canada, j’ai rencontré Gowlings et Me Blanchard. Je savais dès ce moment qu’un important dossier de propriété intellectuelle et de droit d’auteur se préparait, et que j’allais probablement avoir la chance d’être impliquée dessus. Le fait que je sois qualifiée en droit français et québécois allait par ailleurs être un atout.
Si vous pouviez changer quelque chose à la pratique du droit, de quoi s’agirait-il ?
J’ai été impliquée dans des procès de longue et de moins longue durée, et représenté des clients de toutes sortes, des grandes entreprises aux particuliers. Cela me mène à conclure qu’il faudrait envisager la médiation et la conciliation dans le cadre de tous les dossiers de droit civil, plutôt que seulement pour certains d’entre eux. La démarche permet d’identifier les objectifs des parties à un litige ou à une situation commerciale, et d’évaluer s’il existe des « terrains d’entente ». Je crois qu’il est important de s’interroger sur ce genre de questions avant d’entamer une procédure judiciaire et d’aller plus loin. Les litiges sont des processus très coûteux, et qui peuvent aussi être très hasardeux. Il devrait faire partie des règles que d’avoir le réflexe de recourir à la médiation et à la conciliation avant d’intenter les procédures. Ce serait aussi une excellente façon de régler un deuxième problème, à savoir celui de l’engorgement de nos tribunaux. Les nombreux règlements de dernière minute, juste avant un procès, sont la preuve que nous pourrions bénéficier de faire cet exercice plus tôt dans le processus. Je suis d’avis que les avocats de litige ont un rôle dans ce contexte: ils doivent être informés des paramètres de la médiation et doivent les faire connaître à leurs clients, en leur expliquant le processus de la médiation, les enjeux d’un litige, et les options disponibles.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je pense que la perception est plus favorable. Avec les nouvelles technologies et nouveaux médias – et même si parfois il faut être prudent avec les messages qui sont véhiculés – l’avocat est plus accessible.
Cette plus grande accessibilité crée une perception plus positive de l’avocat, de son rôle, de la justice et de son professionnalisme : les gens voient des avocats expliquer les enjeux de dossiers dans nos médias et expliquer certaines décisions rendues. L’exemple récent de l’affaire Turcotte est intéressant : la décision était très controversée et mal comprise du public, et des commentaires erronés en droit se sont retrouvés dans les médias sociaux. En réaction à cela, des avocats ont pris la parole et ont expliqué les enjeux et la décision, ce qui a permis au public d’avoir une meilleure connaissance du droit et de mieux forger son opinion à la lumière de ces explications. Je crois que c’est un rôle que l’avocat doit jouer dans la société.
Comment réussit-on à mener de si grandes causes si rapidement en carrière? Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et ayant l’ambition de gravir les échelons?
Il faut avant tout choisir de pratiquer dans un domaine qui nous passionne. Acquérir une expertise et devenir une référence dans un secteur donné aide à être impliqué sur des dossiers importants. Il faut aussi savoir bien s’entourer et travailler avec des gens qui nous inspirent. Il est important d’avoir un mentor, une personne qui nous guide dans les décisions à prendre. Pour le reste, il faut oser prendre des risques et relever des défis, même si parfois ils nous semblent plus gros que nature! Finalement, et il s’agit du conseil que j’ai reçu le premier matin du procès dans le dossier Robinson, il faut suivre son instinct. Un conseil qui me suit depuis!
En vrac…
Dernier bon livre qu’elle a lu : « L’énigme du retour » Auteur : Dany Laferrière
Dernier bon film qu’elle a vu : « After the Wedding » Réalisatrice : Susanne Bier
Restaurant préféré : Chez St-Pierre (129 Mont St-Louis, Le Bic)
Pays où elle aimerait retourner : Le Maroc Si elle n’était pas avocate, elle serait… architecte!
Bio
Me Florence Lucas exerce le droit en matière de litige civil et commercial au sein du cabinet Gowlings à Montréal. Elle est spécialisée en droit de la propriété intellectuelle, des médias et du divertissement, ainsi qu’en matière de procédure civile liée à l’obtention et à l’exécution d’ordonnances extraordinaires et mesures provisionnelles, telles que des saisies, injonctions et ordonnances de type Anton Piller ou Mareva. Me Lucas a été admise aux Barreaux du Québec et de Paris (France) et elle a eu l’occasion de plaider devant les tribunaux tant québécois que français. Parmi les litiges importants au sein desquels elle a agi, soulignons que Me Lucas a représenté Claude Robinson et sa maison Production Nilem inc. dans l’affaire fort médiatisée Robinson c. Cinar et al. Aux termes d’un procès qui aura duré près de huit mois, l’auteur Claude Robinson a obtenu gain de cause dans un jugement rendu par l’honorable juge Claude Auclair j.c.s. le 26 août 2009. La cause a été entendue par la Cour d’appel en avril 2011. Me Lucas a été également chargée des cours Droit du divertissement et Aspects juridiques de l’édition à la l’Université de Sherbrooke et est l’auteure de plusieurs articles en matière de propriété intellectuelle, notamment sur les enjeux légaux liés aux réseaux sociaux.
Depuis 2008, Me Lucas est membre du conseil d’administration du centre Les Impatients (la Fondation pour l’art thérapeutique et l’art brut du Québec). Elle est membre du conseil d’administration de l’Association des juristes pour l’avancement de la vie artistique (l’AJAVA), et notamment été présidente de 2005 à 2008, une association reconnue par le monde juridique montréalais dans l’industrie du divertissement. Me Lucas s’est enfin beaucoup impliquée auprès de la Jeune Chambre de commerce de Montréal, et notamment comme membres du comité de direction de 2004 à 2006.