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Faisons parler les leaders- Monique Mercier

15 August, 2013

Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, rencontre Monique Mercier, Première vice-présidente, chef des services juridiques et secrétaire générale chez TELUS.

Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocate plutôt que de choisir un autre métier/profession?
Il était, pour ceux ayant de bons résultats académiques, normal à l’époque de s’orienter vers la médecine. Comme c’était mon cas, j’ai choisi les sciences de la santé à Brébeuf. Puis, un été, j’ai travaillé dans un hôpital pour enfants comme aide-infirmière : je me suis aperçue que la médecine n’était pas pour moi et que je n’aimais par ailleurs pas le travail en laboratoire. Aller en sciences parce qu’on a de bons résultats est une chose, mais y rester implique d’avoir une passion pour le domaine, ce qui n’était pas mon cas.
J’ai donc mis de côté les sciences et pris des cours en histoire, politique et  économie : j’ai adoré! Comme on disait déjà à l’époque – et encore aujourd’hui – que le droit mène à tout, j’ai en quelque sorte pris une chance avec le droit, n’en sachant encore que peu sur la discipline mais aimant le fait d’argumenter et de débattre de mes idées. Conclusion : j’ai aimé!
Ayant aussi un intérêt pour la politique, j’ai ensuite complété une maîtrise en philosophie et sciences politiques à Oxford.  De retour au pays, je suis retournée à mes premiers amours: j’aimais les défis intellectuels et la recherche de solutions pratiques. J’ai donc décidé d’abandonner mon projet de doctorat et terminé mon stage à Montréal chez Ogilvy Renault, alors que j’étais enceinte de mon premier enfant. Je me suis par la suite jointe à Stikeman où j’ai eu mon deuxième enfant. Si j’étais la première femme à prendre un congé de maternité au cabinet, je suis quand même revenue seulement deux mois et demi plus tard.

Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi est survenu cette année même!  Pour vous mettre en contexte : j’ai été nommée chef du contentieux de TELUS il y a un peu moins de deux ans, à savoir en octobre 2011. Peu de temps après, le chef de la direction m’informait qu’il désirait consolider les actions votantes et non votantes de TELUS. Les actions non votantes transigeaient en bourse à 5% de moins que les actions votantes. La seule chose que les actions non votantes n’avaient pas était le droit de vote, en raison des restrictions sur la propriété étrangère. Or, nous n’avions plus besoin de la protection d’antan de ce côté, avec seulement 18% de propriété étrangère. Notre actionnariat, divisé en deux, limitait  à l’époque la liquidité et faisait en sorte que nous étions critiqués sur le plan de la gouvernance.
Un comité spécial fut donc mis sur pied et une transaction, annoncée le 21 février 2012. L’annonce fut très bien reçue: le différentiel de 5% entre les actions votantes et non votantes fut pratiquement complètement éliminé. Deux ou trois semaines plus tard cependant, d’importants achats d’actions ordinaires votantes eurent un impact sur notre propriété étrangère : un fonds spéculatif (hedge fund) new yorkais achetait, en un mois seulement, près de 20% des actions votantes de TELUS, pour ensuite vendre à découvert les actions non votantes dans le but de bloquer la transaction et faire un profit sur la vente à découvert des actions non-votantes.
Comme nous approchions dangereusement du seuil permis de 33% de propriété étrangère, les enjeux devenaient capitaux. S’ensuivit donc une situation de gestion de crise, de nombreuses réunions avec la haute direction, une course aux procurations, une circulaire de dissident, etc. Alors que normalement environ la moitié des actionnaires de TELUS votaient, il nous fallait soudainement près de 70 à 75% de participation à l’assemblée pour que la proposition soit acceptée!  Nous avons donc fait des annonces dans les journaux, des publicités à la radio et des communications à tous nos employés, jusqu’à un message préenregistré de ma part qui était laissé dans les boîtes vocales de chacun!
L’assemblée générale des actionnaires eu lieu le 9 mai : sachant que le vote serait insuffisant, nous avons retiré la proposition la veille en expliquant que nous reviendrions avec un ‘plan B’. Le fonds spéculatif (hedge fund) a alors voulu forcer la tenue d’une assemblée des actionnaires de TELUS pour nous empêcher de revenir avec une proposition. Nous avons donc proposé un ‘plan B’ et avons réussi, via les tribunaux, à fusionner l’assemblée des actionnaires convoquée par le fonds et la nôtre et avons reçu le nombre de votes requis pour le passage de notre proposition.
En janvier 2013, le fonds spéculatif (hedge fund) et TELUS ont décidé d’abandonner tous les litiges relativement à l’échange d’actions sans avoir à verser des fonds à l’un ou à l’autre. Nous avons finalement clôturé la transaction en février 2013, et échangé les actions non-votantes contre des actions votantes.
Le bilan entretemps?
·         Treize réunions additionnelles du conseil d’administration;
·         Douze audiences devant les tribunaux;
·         Deux courses aux procurations, et
·         Deux assemblées des actionnaires.
Tout cela alors que je venais à peine d’arriver! Les heures ont évidemment été longues, les enjeux, très importants et les stratégies élaborées, nombreuses!

Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Tant en cabinet qu’en entreprise, il est encore difficile aujourd’hui pour les avocates ayant des enfants de réussir à avoir une pratique très active tout en bénéficiant de flexibilité. Travailler à temps partiel équivaut malheureusement trop souvent à être citoyen de seconde classe et à ne pas avoir accès aux dossiers les plus excitants, comme ils sont souvent aussi urgents. J’ignore, cela dit, si cela peut se changer. Est-ce possible, dans notre métier, de permettre à certaines personnes qui ne veulent pas avoir des horaires excessivement chargés (comme ceux que j’ai eus toute ma vie!) de travailler à temps partiel tout en ayant une carrière?
Dans un autre ordre d’idées, je crois qu’il faudra dans le futur repenser la relation établie entre les entreprises et les cabinets d’avocats. Nous approchons en effet du jour où vendre du temps ne fonctionnera plus. Une constante rationalisation des coûts a cours en entreprise, où l’on doit faire plus avec de moins gros budgets. Les honoraires des cabinets sont très élevés, et il faudra selon moi trouver une autre façon de voir et faire les choses.

La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je crois que la perception est meilleure. J’ai en effet l’impression d’entendre moins souvent de blagues désobligeantes à l’endroit des avocats(es). Je crois qu’on reconnaît davantage la valeur ajoutée qu’apportent les avocats même si, il est vrai, que leurs services sont dispendieux. Les initiatives des vingt dernières années quant à l’accessibilité à la justice ont par ailleurs amélioré les choses et la perception.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et ayant pour ambition de devenir chef des affaires juridiques d’une compagnie d’envergure, comme vous?
J’ai en tête sept conseils, que voici:
1.      Ayez confiance en vous. Ne doutez pas de votre succès et ne limitez pas vos ambitions;
2.      Soyez positif et créatif. Soyez celui qui dit ce qu’on peut faire plutôt que ce qu’on ne peut pas faire. Pour cela, tentez de comprendre les objectifs d’affaires et proposer des solutions, en ne vous arrêtant pas aux déceptions et aux frustrations;
3.      Ayez des mentors. J’ai eu, dans ma carrière et à chacun des niveaux, des mentors qui me posaient des défis et me supportaient. Sachez apprendre de leurs batailles, succès et difficultés.
4.      Saisissez les opportunités. Prenez charge de votre carrière plutôt que d’attendre que l’on ‘cogne à votre porte’, et orientez-vous vers un secteur pour lequel vous êtes passionné. Pour être bon dans ce que l’on fait, il faut aimer cela! Analysez vos forces et faiblesses et déterminez vos vraies passions. J’ai moi-même fait cinq années de fiscalité : j’aimais le domaine, mais sans en être passionnée. Quand l’opportunité chez BCE s’est présentée, je n’ai pas hésité, et j’ai par après été beaucoup plus ‘dans mon élément’ qu’auparavant. Il faut prendre charge de sa carrière.
5.      Apprenez à être confortable avec le complexe et l’ambigu, comme le changement est un facteur constant. A défaut, vous resterez derrière!
6.      Aux femmes : n’essayez pas d’imiter les hommes en tentant de ne pas être différentes d’eux. Je ne crois pas que cela soit nécessaire aujourd’hui. Les femmes ont, il est vrai, un style de leadership différent, une façon de travailler qui leur appartient et des habiletés qui sont distinctes. Il est cependant possible de se faire apprécier comme on est, sans prétendre ne pas avoir d’enfant ou sans laisser entendre que la famille n’est pas chose importante.
7.      Sachez contrôler le stress, soyez discipliné et faites montre d’organisation. C’est un défi que d’avoir une carrière et une famille, mais il est possible d’y arriver. Certes, ce ne sera pas toujours parfait, mais avoir le sens de l’humour nous aide à y arriver!

En vrac…
·         Les derniers bons livres qu’elle a lus – Fall of Giants and Winter of the World (de Ken Follett). Elle attend le 3e volume avec impatience!
·         Sa chanson préférée – C’est beau la vie (de Jean Ferrat).
·         Son péché mignon… manger! Elle adore manger, aller au restaurant et cuisiner!
·         Son restaurant préféré – le Teahouse, dans Stanley Park, à Vancouver
·         Un endroit qu’elle aimerait visiter – Les Indes
·         Le personnage historique qu’elle admire le plus (et pourquoi?) –  Marie Curie. Elle est la seule femme à avoir reçu deux Prix Nobel. C’était une femme déterminée, intelligente et qui a su innover dans différents domaines, à une époque où il n’était pas facile de le faire. Elle a eu le courage de quitter Varsovie pour aller étudier à la Sorbonne à 24 ans, alors que sa sœur travaillait pour lui payer ses études. Curieuse et persévérante, elle était à la fois une femme et une mère dévouée. Il n’y a rien qu’une femme ne puisse faire, c’en est la preuve!
·         Si elle n’était pas avocate, elle … serait propriétaire d’une chaîne de cafés, dans le style du Café Souvenir sur la rue Bernard, à Outremont!

Bio

”Me Monique Mercier est Première vice-présidente, chef des services juridiques et secrétaire générale chez TELUS. Travaillant à Vancouver, elle dirige l’équipe juridique et celle de conformité.
Me Mercier s’est jointe à l’équipe de TELUS en février 2008, à la suite de l’acquisition par TELUS de la société Emergis, où elle s’occupait de tous les aspects juridiques en plus d’agir comme secrétaire du conseil d’administration. Elle a aussi dirigé le service des Ressources humaines de 2004 à 2008. Avocate chevronnée, son expertise englobe le droit des sociétés et des valeurs mobilières, le droit commercial, les fusions et acquisitions, la régie d’entreprise ainsi que les technologies de l’information. Avant de se joindre à Emergis en 1999, Me Mercier a occupé, entre 1997 et 1999, le poste de chef du Service juridique de Bell Canada International Inc. (BCI), où elle a négocié et conclu des fusions et acquisitions internationales dans le secteur des télécommunications, principalement en Asie et en Amérique latine. Avant BCI, de 1989 à 1997, Me Mercier a également occupé divers postes de direction au sein de BCE Inc. dans les secteurs du droit des sociétés et des valeurs mobilières, des fusions et acquisitions, ainsi que du financement. Elle a débuté sa carrière en droit fiscal chez Stikeman Elliott, un cabinet juridique international.
Diplômée de la faculté de droit de l’Université de Montréal et titulaire d’une maîtrise en politique de l’Université d’Oxford en Angleterre, Me Mercier a remporté de nombreuses bourses d’études et prix, dont une bourse du Commonwealth de 1979 à 1982. En 2002, on lui décernait la Médaille du jubilé de Sa Majesté la Reine Élizabeth II. Elle a été membre du conseil d’administration de la Société générale de financement du Québec de 2006 à 2011. Elle est aussi engagée auprès de divers organismes professionnels et communautaires, telle que la campagne de financement de la Fondation Jean-Lapointe pour laquelle elle a été co-présidente en 2006 et 2007 et celle de la Fondation pour la Recherche en Chirurgie Thoracique de Montréal dont elle a été présidente d’honneur en 2013.
Elle participe actuellement au conseil d’administration de la Société canadienne de recherche sur le cancer et est sur le conseil d’administration de Stornoway Diamond Corporation.
Me Mercier est membre du barreau du Québec depuis 1983 et elle a été finaliste aux Canadian General Counsel Awards 2013 dans la catégorie ‘Gestion de litiges’. Elle a été nommée en 2012 parmi les 100 Canadiennes les plus influentes par le Réseau des femmes exécutives.”