Cette semaine Dominique Tardif rencontre Pierre Bienvenu, leader du groupe de pratique Arbitrage international pour l’ensemble des bureaux de Norton Rose. Il lui conte son parcours et comment le journalisme l’a conduit vers le droit.
Avant qu’Ogilvy Renault ne devienne Norton Rose OR, Me Bienvenu en a été associé-chef de la direction du cabinet de 2005 à 2009 et président de son comité exécutif jusqu’en 2011.
Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier/profession?
Ma première ambition étant de devenir journaliste, et je me suis donc inscrit en droit pour m’y préparer. Je faisais partie de ceux qui percevaient les études de droit comme une formation générale pouvant aussi être utile pour la pratique d’une autre carrière.
J’ai eu la piqûre du droit non pas tant à la faculté, mais quand j’ai fait l’expérience de la profession pour la première fois, soit lors de mon premier été comme étudiant en droit chez Ogilvy Renault. J’ai été rapidement séduit et, depuis, ma passion pour l’exercice de la profession ne s’est jamais démentie. J’ai vu à quel point le droit était une occasion de créativité pouvant être utilisée pour atteindre les fins des clients, que ce soit en réalisant des transactions ou en résolvant des litiges. Le rythme de l’exercice de la profession, les exigences des clients, les interactions avec les collègues m’ont beaucoup intéressés : la dimension interpersonnelle de l’exercice de la profession a toujours été une source d’intérêt et de satisfaction personnelle.
Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
En droit judiciaire, mon plus grand défi professionnel a été le dossier du Renvoi relatif à la sécession du Québec (1). J’ai d’abord représenté le procureur général dans l’affaire Bertrand et, suite à la décision du gouvernement fédéral de s’adresser à la Cour suprême du Canada dans le cadre d’un renvoi, j’ai eu le privilège de représenter le gouvernement fédéral dans le cadre du renvoi avec mon associé et mentor Yves Fortier. Ce dossier du renvoi survenait à un moment où les questions soulevées étaient indissociables de l’activité politique. L’initiative de faire statuer sur la légalité du processus d’indépendance était très controversée : tout le dossier portait sur le choix qu’une collectivité peut décider de faire ou non entre un régime juridique et un autre.
L’un des grands défis était de montrer toute la retenue nécessaire dans nos services professionnels et nos interventions publiques. Il fallait évidemment défendre au mieux les intérêts de notre client, mais avec professionnalisme et retenue. Les questions étaient fascinantes pour quelqu’un qui s’intéresse au droit public, et à la limite de l’endroit où le droit international prend le relai du droit constitutionnel. La dimension politique, l’interaction avec les hommes politiques et les interventions médiatiques ajoutaient à tout cela.
Quels sont selon vous les changements à anticiper au cours des années à venir quant à l’exercice de la profession en cabinet?
La globalisation et la mondialisation sont des phénomènes qui ont déjà affecté la profession de façon considérable, bien que moins au Canada qu’en Europe. Notre décision de se joindre à Norton Rose, en tant que cabinet, est le reflet de cette tendance. Il est à mon avis probable qu’une segmentation de plus en plus importante se crée entre, d’une part, les cabinets qui s’inscrivent dans ce courant et, d’autre part, les autres.
À une échelle plus individuelle, j’anticipe voir une intégration de plus en plus fréquente d’avocats au sein d’équipes internationales et multidisciplinaires qui seront créées pour servir un client donné quant à un projet particulier. Les clients veulent, en effet, de plus en plus créer « l’équipe parfaite » pour desservir leurs besoins. C’est d’ailleurs une pratique dont je fais souvent l’expérience en arbitrage international, où nous travaillons systématiquement avec des avocats locaux et des gens qui sont membres des barreaux du siège de l’arbitrage. Il est très enrichissant de voir comment d’autres font les choses, et de nous rappeler l’importance de ne pas avoir l’esprit fermé en pensant que « our way is the only way ».
Cela dit, l’exigence des clients qui demandent à avoir accès à des avocats spécialisés et à la fine pointe des développements dans un secteur de pratique a pour conséquence de pousser les avocats à se spécialiser très tôt. Si l’on doit regretter une chose de ce phénomène de spécialisation inéluctable, c’est que les gens ont conséquemment moins l’occasion d’acquérir une culture juridique qui soit aussi complète. L’occasion d’acquérir cette culture juridique générale qui fait de nous de bons praticiens et des conseillers créatifs ne se présente souvent pas aussi souvent par la suite. Il devient donc d’autant plus important de l’acquérir en faculté et, quand cela est possible, par des études supérieures.
La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je crois que l’image qu’ont les gens de la profession dépend de la qualité de l’information qu’ils reçoivent. Lorsque les gens sont bien informés du travail que l’on fait, ils respectent le professionnalisme de ceux qui exercent dans le domaine.
L’affaire Turcotte, largement médiatisée, est un exemple récent du manque de compréhension du public. J’apprécie d’ailleurs les efforts qui ont été faits par la presse pour faire comprendre le processus au public. La perception dépend beaucoup de la qualité de l’information reçue, à mon avis.
Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière?
Je crois qu’on ne doit pas être pressé d’entreprendre l’exercice de la profession, et qu’il est éminemment souhaitable de faire un autre baccalauréat avant de faire le droit. Il est aussi souhaitable d’acquérir une expérience étrangère avant de débuter la pratique, qu’il s’agisse d’études, d’un stage ou d’autre chose. Les occasions sont nombreuses et les avocats canadiens sont bien positionnés pour exceller dans des échanges comme ceux-là. La culture générale aide à devenir et être un conseiller juridique réfléchi. On a toute la vie pour la pratique, après tout!
(1) Renvoi relatif à la sécession du Québec – (1998) 2 R.C.S. 217 ; 161
En vrac…
• Dernier bon livre qu’il a lu : «Churchill » Auteur : Paul Johnson
• Dernier bon film qu’il a vu : « Minuit à Paris » Réalisateur : Woody Allen
• Restaurants préférés : Au Pied de Cochon (Avenue Duluth Est) et Ferreira (rue Peel).
• Pays qu’il aimerait visiter : La Turquie.
• S’il n’était pas avocat, il serait… journaliste ou peut-être musicien, comme il joue de la guitare et du piano!
Bio
Me Bienvenu possède une expertise en matière d’arbitrage commercial international, de litiges corporatifs et commerciaux et de droit constitutionnel. Il a agi à titre d’avocat d’une partie dans plusieurs arbitrages nationaux et internationaux, tant ad hoc qu’institutionnels, relativement à des différends dans les domaines des télécommunications, de l’aéronautique, de la distribution internationale et des coentreprises, des fusions et acquisitions, ainsi que de l’investissement étranger. Il est également appelé à représenter des parties dans le cadre de recours judiciaires en annulation d’une sentence arbitrale, ou visant à obtenir la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales étrangères ou internes. Me Bienvenu agit également à titre d’arbitre dans le cadre d’arbitrages internationaux et siège à titre d’arbitre unique, d’arbitre nommé par les parties et de président du tribunal. Il est membre de la Cour d’arbitrage international de Londres (CAIL), dont il est également vice- président.
En plus de plaider régulièrement devant des tribunaux administratifs et des tribunaux d’arbitrage, Me Bienvenu intervient devant les tribunaux du Québec, la Cour fédérale du Canada et la Cour suprême du Canada. Il a participé à plusieurs dossiers où était mise en cause la validité constitutionnelle de la législation provinciale et fédérale. Il possède également une vaste expérience des litiges en droit public. Il a représenté des organismes gouvernementaux, des institutions et des particuliers devant la Cour suprême du Canada dans le cadre de divers litiges en droit constitutionnel et commercial. Ainsi, il a notamment été appelé à représenter le Procureur général du Canada dans le fameux Renvoi relatif à la sécession du Québec et les juges de nomination fédérale dans l’affaire Bodner; il est aussi intervenu récemment à titre de conseiller juridique pour le compte de BCE et de Bell Canada dans l’appel interjeté avec succès devant la Cour suprême visant l’approbation d’un plan d’arrangement à l’égard de l’opération de prise de contrôle par emprunt de 50 milliards de dollars menée par un consortium d’investisseurs privés en vue d’acquérir BCE.