Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Me Denis Boulianne, VP principal, Affaires juridiques, chef du contentieux et secrétaire chez Ivanhoé Cambridge…
1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession?
J’ai toujours voulu être avocat. Cela dit, le droit m’attirait d’abord certainement un peu parce qu’il n’impliquait pas les mathématiques! dit-il dans un rire. Surtout, j’y étais intéressé parce que c’est une profession axée sur les relations humaines, autant lorsqu’on traite avec ses collègues que ses adversaires. J’aimais aussi le fait que l’avocat soit un maillon du système de justice et qu’il incarne l’un des trois piliers de notre démocratie. J’ai ainsi entrepris des études en sciences politiques à McGill, sachant que j’irais ensuite en droit.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
J’ai eu la chance de vivre bien des défis au cours de ma carrière : le fait d’avoir aujourd’hui pour mandat de continuer à inspirer, chez Ivanhoé Cambridge, l’équipe de 60 personnes que je dirige et de l’amener vers ce qu’elle peut être de meilleure est certes un défi stimulant!
Par ailleurs, un autre défi de carrière est survenu alors je travaillais chez Shearman & Sterling à Paris. Nous travaillions alors sur les introductions en bourse des grandes sociétés d’état, que le gouvernement français privatisait : Alstom, Orange, Air France, etc.
Je travaillais en France dans un cabinet américain, et j’étais Québécois. On se reposait donc naturellement beaucoup sur moi pour « faire le pont » entre les deux cultures. Les Américains me voyaient un peu comme l’un des leurs, et les Français, un peu aussi. Tout cela était un défi non seulement compte tenu de l’envergure des dossiers, mais du fait que le client que nous représentions était l’État français, avec tout ce qu’on peut imaginer d’hiérarchie, de déférence et de rigidité, et que nous travaillions en même temps avec les banques américaines chargées du placement des actions sur les marchés. Il fallait faire preuve de beaucoup de tact pour savoir traduire les exigences réglementaires de façon à ce que les choses soient acceptées par les représentants de l’État.
Cet apprentissage me sert aujourd’hui beaucoup chez Ivanhoé Cambridge, qui a une présence dans 20 pays. Les Québécois ont, je crois, cette caractéristique des petites nations qui ont de grands voisins : ils sont habiles avec les langues, ont une bonne capacité d’adaptation, une agilité et une flexibilité qui sont très utiles lorsqu’on travaille dans le monde des affaires.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, j’améliorerais l’accessibilité, qui demeure problématique. Il est, à mon avis, surprenant de constater que la résolution de conflits ne soit pas encore plus étendue, et que la résultante des litiges dépende encore autant des talents de l’avocat représentant son client. Malheureusement, nous savons tous que la capacité de choisir son avocat est liée aux moyens financiers de la partie qui l’engage…
Le pro bono fait dans les cabinets et les efforts pour miser sur des modes alternatifs de résolution des conflits sont certainement des gestes positifs et à encourager. Cela dit, le système demeure à mon sens encore peu démocratique, dans le sens « accessible » du terme, et il y a certainement place à amélioration.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je crois que la perception s’améliore et évolue en même temps que la société : la profession se rajeunit, se diversifie et se féminise. Étant plus le reflet de la communauté qu’avant, la profession est aussi mieux acceptée. Le fait qu’elle soit un peu moins élitiste aide à la perception du public en ce que, à mon avis, les gens s’y retrouvent un peu plus.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant un jour se retrouver à la tête d’un département des affaires juridiques? Quelle est la recette, s’il en est une?
Je recommande d’abord aux jeunes de s’expatrier. Non seulement ne sommes-nous jamais « prophète en notre pays », mais allons-nous chercher ailleurs une multitude d’apprentissages qu’on ne peut toujours acquérir chez soi.
Naturellement, les langues sont aussi importantes dans un monde de plus en plus global, de même que les compétences autres, comme par exemple celles en finance ou fiscalité.
Il est aussi important de suivre ses intérêts et sa passion. À l’époque où j’ai fait mon stage en 1995, nous étions 40 stagiaires à Toronto. Seulement 11 personnes ont été retenues après le stage. Pour plusieurs de ceux n’ayant pas obtenu un emploi, cela représentait un coup presque fatal à leurs yeux. Des années plus tard, je recroise ces gens aujourd’hui et constate que beaucoup d’entre eux ont poursuivi leur passion suite à ces événements, qu’il s’agisse d’avoir développé une spécialité en droit de la propriété intellectuelle ou encore de l’immigration, par exemple. Ils ont poursuivi leur chemin et souvent, bien des années plus tard, se font recruter par de grands cabinets recherchant leurs compétences pointues dans un domaine de droit donné.
Ce qu’il faut retenir de cela, c’est qu’il y a plusieurs voies en droit, et qu’il est tout à fait acceptable de faire quelque chose de différent.
Enfin, et peu importe ce que l’on choisit de faire, cela prend beaucoup de travail. En entreprise, il est essentiel de se rendre indispensable aux gens d’affaires en offrant un service impeccable et en se positionnant non plus seulement qu’à titre de conseiller juridique, mais comme gestionnaire du risque d’affaires.
- Il a beaucoup aimé lire : The Scramble for Africa (auteur : Thomas Pakenham) et Le rêve de Champlain (auteur : David Hackett Fischer).
- Le dernier bon film qu’il a vu : Lion (réalisateur : Garth Davis)
- Vous pourriez l’entendre fredonner…de vieux classiques français du genre Avec le temps (Léo Ferré), les chansons de Barbara ou encore du Patrick Bruel.
- Il dit souvent…Parfois, il est urgent d’attendre.
- Son péché mignon : Les bordeaux français!
- Il aime s’arrêter casser la croûte au… bistro de Jérôme Ferrer (Beaver Hall, Montréal), Chez Victoire (avenue Mont-Royal, Montréal), et au Tuck Shop (Notre-Dame, Montréal)
- Il aimerait visiter… le monde des maharajahs, au Rajasthan en Inde.
- Il admire : le général Charles de Gaulle : quelqu’un qui a, contre toute attente à la fin de la guerre, saisi les opportunités pour recomposer la France. Il aime aussi Nicolas II, dernier tsar de Russie, s’étant retrouvé dans l’Histoire à un moment où tout a basculé.
- S’il n’était pas avocat, il serait…conservateur de musée ou directeur d’une galerie d’art!
Me Boulianne œuvre dans le domaine des affaires juridiques depuis plus de 20 ans. Il s’est joint à l’équipe d’Ivanhoé Cambridge en septembre 2007. Auparavant, il a pratiqué le droit au sein des cabinets Fasken Martineau à Toronto et Shearman & Sterling à Paris avant de se joindre au contentieux de Boston Scientific à Paris. Au cours de sa carrière, Me Boulianne a acquis une vaste expertise transactionnelle, laquelle lui a permis de jouer un rôle clé dans plusieurs opérations importantes menées au sein des unités d’affaires.
Me Boulianne est titulaire d’un baccalauréat en sciences politiques et d’un double diplôme en droit civil et en common law (B.C.L./LL.B.) de l’Université McGill, ainsi que d’une maîtrise en droit international de l’Université Aix-Marseille en France. Il est membre du Barreau du Québec, du Barreau de l’Ontario et du Barreau de New York.