Cette semaine, Me Dominique Tardif de ZSA s’entretient avec Me Martin Longpré, vice-président de la division Énergie commerciale et résidentielle de CST Canada Co., mieux connu sous la raison sociale d’Ultramar.
1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession? Était-ce de tradition familiale ou êtes-vous « tombé dans la marmite » quand vous étiez petit?
Je ne suis pas « tombé dedans quand j’étais petit », non. Le droit n’était pas une tradition familiale non plus, dans mon cas. En fait, j’étais tout sauf destiné au droit! En effet, je voulais devenir pilote d’avion militaire. Je me suis rendu assez loin dans le processus de recrutement permettant d’être admis au programme et, lors de mon troisième examen médical, on a découvert que j’avais besoin de lunettes…J’ai donc été éliminé cinq mois après le début du processus. Ce fut un deuil, je dois dire!
J’ai donc, dit-il en riant, été obligé de me concentrer sur mes études collégiales! J’ai suivi un cours d’introduction au droit au Cégep. Le professeur était très enthousiaste et c’est là, dans cette classe, que tout a commencé, un peu par hasard. « Pourquoi pas? », me suis-je dit. J’ai aimé le processus intellectuel et la logique derrière le droit. Cela m’interpellait, et j’ai donc postulé.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi a été de faire le passage, à temps complet, d’un poste de juriste à un poste de gestionnaire. Ce que j’explique à mes amis avocats qui travaillent en cabinet, c’est qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir ou la facilité, au-delà des egos, de travailler avec des professionnels. Qu’on s’entende ou non sur les conclusions auxquelles on arrive, on travaille, tant en cabinet que dans un contentieux d’entreprise, avec des gens qui connaissent l’environnement.
Quand on passe du côté des affaires, on évolue dans un environnement où il y a des gens de tous les domaines, du commis à la haute direction. Tout le monde n’est pas au même diapason quant à la livraison des délais, la qualité du travail, etc. Le défi, c’est de savoir rendre les choses harmonieuses, en amenant les gens à bien comprendre quels sont les impératifs et objectifs de l’entreprise, et comment chacun a « sa partition à jouer ». La partition de chacun n’est peut-être pas du même niveau de complexité pour tous, mais tout le monde a la sienne et doit bien la jouer.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je changerais le mode de facturation, qui me semble « déconnecté de la réalité », en ne tenant compte que des heures facturables malgré le fait que le succès ne se mesure pas, justement, en heures mais en résultats atteints.
Si un cabinet d’avocats atteignait de formidables résultats en mettant peu d’heures sur le dossier, il devrait à mon avis nous charger une prime. Or, l’inverse ne fonctionne pas selon le même principe : quand le résultat désiré n’arrive pas rapidement, on réussit quand même à nous expliquer pourquoi toutes les heures chargées ont été nécessaires pour en arriver là.
Il n’y a, avec ce système qui ne tient compte que des heures, pas de proportionnalité entre l’effort et le résultat. À mon avis, on devrait « peser » les dossiers plutôt que de les compter. Si le résultat atteint ne vaut que 10 000 $, peut-être que ce n’est que cela qui devrait être facturé. Cette façon de faire est évidemment très subjective j’en suis conscient. Il n’en reste pas moins qu’il est nécessaire de bâtir un environnement qui ne tient pas seulement compte des heures, mais aussi d’autres facteurs.
Prenons par comparaison mon univers, dans lequel je vends des biens et je les installe. Si je vais chez un client et que ce que j’installe ne fonctionne pas, j’y retournerai, de façon à m’assurer que ça fonctionne et sans facturer vraiment plus (sauf cas d’exception). Les cabinets, eux, ne fonctionnent pas de la même façon.
Non seulement les honoraires eux-mêmes sont-ils problématiques, mais les avocats sont-ils aussi parfois paresseux en faisant défaut d’expliquer à leurs clients ce que le dossier pourrait leur coûter.
4. La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je ne crois pas que les choses aient beaucoup changé. Les avocats demeurent impopulaires, mais la population a plus récemment tourné son attention vers d’autres professionnels qui, à leur tour, le sont aussi. Qu’on pense, à ce titre, aux politiciens et aux ingénieurs, entre autres. On entend donc moins parler de cette perception négative envers les avocats, mais cela ne signifie pas, selon moi, que la situation est vraiment pire ou meilleure.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant, à terme, sortir du droit et aller en affaires? Quels sont les trucs, s’il en est?
Je pense spontanément à deux choses.
D’abord, il faut être passionné. Je crois que c’est, dans mon cas, ce qui m’a fait sortir du droit. Outre les dossiers, il faut savoir s’intéresser à ses clients. Une fois rendu au sein d’une organisation dans laquelle on veut grandir, il faut comprendre ce que l’on fait, parler avec les gens et « être sur le terrain » pour bien saisir les enjeux. Le fait, à titre d’exemples, de comprendre comment fonctionne un avion, de discuter avec un ingénieur ou encore de saisir l’impact de telle ou telle situation pour le passager, augmente notre niveau de passion envers ce que l’on fait. Quand on m’a offert un poste de gestion de groupe, on m’a justement dit que la raison pour laquelle on me choisissait, c’était que je comprenais, justement, ce que l’on faisait.
De plus, il est à mon avis nécessaire de développer des connaissances en finances et en comptabilité. Peu d’avocats savent décortiquer des états financiers, comprendre l’impact des entrées financières, etc.
Si j’avais deux conseils à donner, en bref, ce serait donc: soyez passionné et apprenez à compter!
· Le dernier bon livre qu’il a lu – The girl on the train (auteure : Paula Hawkins). Il nous recommande aussi « Les rois maudits » (auteur : Maurice Druon).
· Le dernier bon film qu’il a vu – Arrival (réalisateur : Denis Villeneuve).
· Son groupe fétiche – Florence + The Machine
· Son dicton préféré – « On regarde par en avant!»
· Son restaurant préféré – Le Gourmand (avenue Sainte-Anne, Pointe-Claire)
· Un pays qu’il aimerait visiter – La Grèce, qu’il aura le plaisir de découvrir en mai prochain.
· Le personnage historique qu’il admire le plus – Charles de Gaulle, parce qu’il est resté fidèle à sa mission et ses valeurs et a su « maintenir le cap » tout en faisant face aux pires adversités. Il avait la détermination et était mû par la volonté de préserver les valeurs et la nation française dans ses pires moments.
· S’il n’était pas avocat & homme d’affaires, il serait…médecin, une profession très noble et humaine, qui permet d’aider son prochain.
^Me Martin Longpré est, depuis novembre 2013, vice-président de la division Énergie commerciale et résidentielle de CST Canada, une filiale de CST Brands, société inscrite à la Bourse de New York, qui emploie plus de 15 000 personnes et exploite plus de 2 000 magasins en Amérique du Nord, dont près de 900 au Canada. À ce titre, il est responsable des orientations stratégiques de la division, qui a des activités sur l’ensemble du territoire de l’Est du Canada. À son arrivée, il a lancé une vaste révision stratégique des activités traditionnelles et a établi quatre priorités axées sur l’amélioration de la qualité de l’expérience client, l’augmentation des activités à valeur ajoutée, l’engagement des employés et partenaires d’affaires et l’efficience des opérations.
Avant de se joindre à CST, Me Longpré a agi à titre de directeur principal, Affaires juridiques et gestion des risques chez Énergie Valero pour l’ensemble des activités canadiennes. Il a aussi été directeur du contentieux et secrétaire corporatif pour Produits Forestiers Alliance inc. de 1997 à 2001 avant de se joindre à Transat A.T. inc., où il a occupé le poste de directeur adjoint du contentieux pendant plus de huit ans. Me Longpré est membre du Barreau du Québec depuis 1989.