Blogue

Les règlements alternatifs sont l’avenir de la profession

21 septembre, 2017

Cette semaine, Dominique Tardif, de ZSA, s’entretient avec Pierre Marc Johnson, avocat-conseil chez Lavery, à Montréal…

1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocat, et comment les choses se sont-elles enchaînées par la suite vers une carrière aussi diversifiée que celle que vous avez connue?

J’ai d’abord fait un baccalauréat en sciences politiques à Brébeuf, pendant lequel je me suis beaucoup impliqué dans les activités étudiantes. Même si la médecine m’intéressait vaguement, je n’y étais pas préparé à l’époque, notamment compte tenu de mes activités étudiantes.

J’étais quelqu’un qui aimait les défis de l’esprit, et je savais qu’il y en avait beaucoup en droit. Il y avait par ailleurs beaucoup d’avocats dans la famille : c’était une meute avec laquelle j’étais confortable! C’est donc aussi un peu par atavisme que je m’y suis dirigé.

C’est pendant ma deuxième année de droit, suite au décès de mon père, que j’ai décidé de devenir médecin. J’ai terminé mes cours de droit et le Barreau tout en faisant des cours d’été et du soir pour obtenir les prérequis de mathématiques, chimie et autres qui étaient nécessaires pour entrer en médecine.

J’ai ensuite pratiqué la médecine pendant deux ans, tout en étant très impliqué au Parti québécois. Lorsque René Lévesque m’a demandé de me présenter, j’ai accepté. J’ai alors abandonné ma pratique en médecine, à savoir une pratique d’urgence à Maisonneuve-Rosemont que j’adorais et où j’avais le sentiment d’être quelque part entre un contrôleur aérien et un pompier, dans des conditions souvent très difficiles compte tenu du fait que l’urgence n’était pas aussi bien équipée à l’époque.

J’ai continué de faire quelques gardes à l’urgence lorsque je suis devenu député. J’ai cependant dû arrêter lorsque j’ai été nommé ministre, faute de temps.

Après avoir quitté la politique, j’avais le choix entre retourner en médecine ou aller en droit. Je me suis donné quelques mois et ai reçu des offres d’une générosité extraordinaire de Notre-Dame, St-Luc et Maisonneuve-Rosemont, tant en soins palliatifs qu’avec la clinique des employés.

Après réflexion, j’en ai conclu que si j’y retournais, je ne maximiserais probablement pas ce que j’avais appris en politique. Ces années seraient devenues une sorte de parenthèse dans ma carrière.

2. Quel sont les plus grands défis professionnels auxquels vous avez fait face au cours de votre carrière?

Mon plus grand défi personnel fut de décider, après avoir quitté la politique, ce que je ferais!, dit-il dans un rire.

Sur le plan politique, j’ai vécu mon plus grand défi alors que j’étais ministre des Affaires Sociales. Après avoir piloté une série de réformes, dont celle des Normes du travail, j’ai accepté la direction de ce ministère à la demande de René Lévesque après l’élection de 1981.

Être en politique implique, comme on le sait, de servir le Premier ministre. J’ai donc répondu « certainement » à la question de René Lévesque lorsqu’il m’a demandé si j’acceptais ce ministère. Or, le lendemain de cette conversation, il ajoutait : « J’ai oublié de vous dire que M. Parizeau veut couper 500 millions de dollars dans ce ministère. Voulez-vous toujours le poste?». J’ai répondu par l’affirmative, conscient du fait que 500 millions de dollars à l’époque, c’était beaucoup.

Nous étions dans la situation difficile des années 80, avec des taux d’intérêt, un chômage et une inflation très élevés. Le domaine de la santé et des services sociaux représentait quant à lui, sur le plan du contenu, un sujet évidemment sensible, et il nous revenait de gérer ce qui représentait le tiers du budget de l’état, avec 980 établissements, dans ces conditions. Il fallait avant tout, malgré le contexte de coupures budgétaires, maintenir un esprit positif, ce que je crois nous avons bien réussi à faire.

3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?

Si j’avais une baguette magique, je changerais manifestement, en matière civile, la lenteur de l’appareil sur le plan des litiges. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de recherches se font dans les universités sur l’accessibilité à la justice, dont le programme de Pierre Noreau à l’Université de Montréal.

Lorsque je regarde autour de moi et écoute ce que les citoyens me disent, je constate que, surtout lorsque des inégalités existent entre les parties, le « facteur temps » influe littéralement sur le résultat du litige – et malheureusement.

4. Qu’avez-vous à dire de la perception du public envers la profession et les avocats en général?

Je pense que la profession est victime, dans l’opinion publique, de ce qu’on voit ailleurs : une forme de populisme s’est installée, et la profession n’en est pas à l’abri.

L’antiélitisme se manifeste beaucoup à l’égard des professions libérales, dont on voudrait s’assurer sur le plan fiscal qu’elles paient plus qu’elles ne paient déjà, malgré le fait qu’elles soient à des taux d’imposition de 54%.

Même à l’intérieur des rangs de la profession, une pression s’exerce. Il existe une césure entre différents groupes : il n’y a notamment qu’à penser à la problématique à l’endroit de la bâtonnière, pour laquelle la profession s’est divisée.

Il existe, de la même façon, une césure entre les gens qui pratiquent en solo et les gens de grands cabinets. On voit des gens évoluer dans une zone plutôt confortable en raison de leur spécialisation et d’autres qui, à l’inverse, sont aux prises avec la nécessité d’offrir une gamme de services à eux seuls. Une pression considérable s’exerce ainsi sur une partie de la profession qui doit se transformer en homme ou femme-orchestre. Cette pratique existait déjà, mais pas dans un contexte où une telle pression, y compris économique, se faisait. Le nombre d’avocats et la diversité de l’offre font en sorte que ces pressions génèrent leur lot de frustrations pour chacun : ceux qui ont une pratique spécialisée ont ainsi parfois le sentiment de ne pas être compris par les autres, alors que ceux qui ont une pratique très diversifiée ont le sentiment de travailler beaucoup plus fort pour souvent moins d’argent.

5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui en est au tout début de sa carrière et qui souhaite connaître le succès? Comment se « faire un nom » en droit dans le Québec d’aujourd’hui, à votre avis?

Évidemment, il y a la technique. Mais bien au-delà de cela, c’est d’avoir une discipline personnelle qui soit orientée vers la compréhension du fond des choses plutôt que seulement vers la maîtrise des éléments techniques qui est essentielle. Je considère avoir eu le privilège de fréquenter des gens exceptionnels au cours de ma carrière. Ce qui me frappe chez les meilleurs et ceux qui sont le mieux dans leur peau, c’est leur culture générale. L’histoire de la philosophie, la connaissance des auteurs, etc., tout cela permet de comprendre les choses sur le fond quant au fonctionnement et à l’application du droit.

Également, il est à mon avis nécessaire pour les avocats d’aller dans le sens d’une pratique de règlement des différends qui soit alternative, et cela, pas seulement en matière familiale. Les modes de règlements alternatifs me paraissent être une voie d’avenir pour les avocats de demain.

Enfin, il faut accepter qu’à de très rares exceptions près, notre pratique changera plusieurs fois au cours de notre carrière. J’ai pour ma part bien eu dix métiers depuis l’université, de la médecine à la politique en passant par des négociations multilatérales et bilatérales, la présidence d’une commission d’enquête, des implications sur des conseils d’administration, la rédaction d’articles et le fait d’être professeur. C’est ça, pour moi, la vraie pratique du droit : une pratique diversifiée, sachant qu’à travers tout cela, il faut aussi gagner sa vie! dit-il en riant.

  • Un ouvrage qu’il est à relire : L’histoire de la philosophie de Luc Ferry, qui fait le tour de l’évolution de la pensée démocratique, de l’histoire du droit, de la naissance de l’humanisme, etc. Il aime aussi : lire des romans et des nouvelles, ainsi que des choses sur l’intelligence artificielle. Outre cela, The Economist est une revue centrée sur l’importance des marchés mais aussi sur les droits et la redistribution des richesses, et qu’il lit avec assiduité.
  • Les derniers bons films qu’il a vus: Dunkerque (réalisateur : Christopher Nolan) et The Lunchbox (réalisateur : Ritesh Batra).
  • Sa chanson fétiche : Summertime (Gershwin, Porgy and Bess), qu’il fredonne bien depuis 50 ans!
  • Son expression préférée : « Il faut prendre la vie au sérieux, pas au tragique ». C’est, bien souvent, la différence entre les gens qui ont de la maturité et ceux qui n’en ont pas!
  • Parmi ses péchés mignons… Les bordeaux et les pinots noirs de l’Oregon.
  • Il aime casser la croûte…dans un des restos de Jérôme Ferrer, pour l’attention qu’il porte à sa clientèle, et chez Zia Trattoria, Place Phillips.
  • Il aimerait visiter… Le Bouthan, et a beaucoup aimé l’Autriche, l’Australie, le Sénégal, la Norvège et le Portugal.
  • Les deux personnages historiques qu’il admire le plus :

-Winston Churchill qui, malgré tous ses défauts et ses côtés changeants que certains diront manipulateurs, a fait preuve d’entêtement, de courage et de détermination. Sans cet homme, l’Europe aurait été différente.

-Franklin D. Roosevelt, pour Yalta et le New Deal. Yalta, c’était la conscience qu’il fallait trouver, à la fin de la guerre, des solutions sans trop de tensions. Le New Deal, c’était l’interventionnisme étatique et l’application de politiques étatiques à travers une crise énorme. « La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même », disait-il. Ses interventions leur auront permis de se remettre de la crise et de sauver l’Europe, tout en faisant en sorte que les États-Unis soient des participants importants à la Seconde Guerre mondiale.

  • S’il n’avait pas déjà fait tout ce qu’il a fait, il opterait probablement pour… l’architecture, comme il aime le côté technique de la discipline en même temps que la philosophie qui se cache derrière, laquelle permet d’intégrer un bâtiment et une fonctionnalité à partir des besoins.
L’Honorable Pierre Marc Johnson, ( BA, LL.L., M.D., Ph.D. (hc), MSRC, G.O.Q., Ad. E.) est avocat-conseil au cabinet Lavery de Montréal.
Ancien premier ministre du Québec, il a été de 1976 à 1987 membre de l’Assemblée nationale pour le comté d’Anjou et successivement et parfois concurremment Ministre du travail et de la main-d’œuvre, des institutions financières et corporations et coopératives, des affaires sociales, de la justice et procureur général, des affaires intergouvernementales puis Premier Ministre et Chef de l’opposition.
Me Johnson a participé à des négociations internationales pour le compte du gouvernement du Canada, du Gouvernement du Québec et de secrétariats des Nations-unies concernant des enjeux de développement durable.
Au cours des 20 dernières années, Me Johnson a siégé (et siège encore) à de nombreux conseils d’administration d’organismes à but non lucratif et de sociétés privées ou à capital ouvert au Canada, au Mexique, aux États-Unis et en Europe. Il a accompli des mandats d’État pour le Québec, notamment comme chef négociateur du Québec dans la ronde 2001-2007 du conflit entre le Canada et les États-Unis concernant le bois d’œuvre.
Depuis juin 2009, Me Johnson occupe comme négociateur en chef du gouvernement du Québec pour la conclusion de l’Accord Économique Commercial Global entre le Canada et l’Union Européenne (AECG).