Cette semaine, Me Dominique Tardif de ZSA s’entretient avec Me Claudia P. Prémont, bâtonnière du Québec.
1. Pourquoi avez-vous, à l’origine, décidé d’être avocate plutôt que de choisir un autre métier ou une autre profession? Était-ce une tradition familiale ou le fruit de longues réflexions?
Il n’y avait aucun avocat dans ma famille ou dans mon entourage. Pourtant, le droit m’a interpellée assez jeune, soit au début de mon deuxième secondaire. J’ai alors lu un roman dans lequel l’héroïne était une avocate qui pratiquait le droit criminel, et je me suis dit : « voilà ce que je veux faire dans la vie! ». Évidemment, l’histoire était romancée, mais le fait de prendre une cause, de faire ressortir la vérité et d’effectuer un travail d’enquête m’intéressait. J’aimais l’idée « d’aller jusqu’au bout » pour faire triompher la vérité.
Je n’ai jamais, à partir de là, pensé à faire autre chose. Je n’ai cependant pas pratiqué en droit criminel, ayant développé d’autres intérêts au baccalauréat. Après un stage chez Gagnon, de Billy (aujourd’hui Lavery), j’y ai été engagée, partageant d’abord mon temps entre les relations de travail et le droit de la famille. J’aimais beaucoup aider les gens, être près d’eux et faire des représentations devant les tribunaux, ce que le droit de la famille me permettait de faire. Avec le temps, j’ai ainsi développé ma pratique dans le domaine.
2. Quel est le plus grand défi professionnel auquel vous avez fait face au cours de votre carrière?
Mon plus grand défi professionnel à ce jour, c’est mon arrivée au poste de bâtonnière du Québec !
On se rappellera que lors de mon élection par le conseil d’administration comme bâtonnière, en 2015, le Barreau sortait d’un épisode difficile. Or, je n’avais nullement prévu ou planifié ce mandat dans mon cheminement professionnel à ce moment-là.
Ayant été bâtonnière de Québec en 2007-2008, j’avais ensuite siégé plusieurs années au conseil général, continuant par après à m’impliquer dans divers comités du Barreau du Québec. Intéressée par le nouveau modèle de gouvernance du Barreau, j’avais présenté ma candidature pour être administratrice, et j’avais été élue. Il s’agissait pour moi d’un engagement important et intéressant. Il s’agissait de mettre en place de nouvelles façons de faire.
Je ne prévoyais cependant absolument pas me retrouver dans le siège de la bâtonnière aussi rapidement ! À la suite de la démission de l’ex-bâtonnière, le Conseil d’administration a proposé ma candidature. J’ai été élue… ce qui impliquait conséquemment d’être à Montréal plusieurs jours par semaine et de réorganiser mon agenda, qui était déjà complet à l’automne 2015 !
J’ai parlé à chacun de mes clients, fait les quelques dossiers que je ne pouvais vraiment pas transférer. Depuis mon dernier dossier, en janvier 2016, je n’ai gardé que quelques dossiers de médiation. Dans un bureau de huit avocats, cela paraît lorsque quelqu’un est absent! Mes associés ont été très aidants et tous mes collègues ont mis les bouchées doubles : je leur en suis d’ailleurs très reconnaissante.
Outre ce défi de logistique, le poste en soi constituait un défi. Je devais me replonger dans les dossiers pour ensuite mettre mes projets en place. J’ai travaillé très fort, entourée de l’équipe du Barreau, pour m’approprier rapidement les dossiers de l’Ordre, mettre à jour mes connaissances et rencontrer tous les intervenants du milieu ainsi que les bâtonniers et bâtonnières de section, question d’être à la hauteur de mes nouvelles tâches et de mener à bien la mission de protection du public du Barreau.
Il y avait donc beaucoup de changements, avec la nouvelle gouvernance et un Conseil d’administration qui fonctionnait désormais différemment. Certains étaient favorables à ces changements, alors qu’il s’agissait pour d’autres d’un choix imposé : peu importe, il fallait travailler en équipe! Je suis heureuse de constater aujourd’hui que les choses fonctionnent très bien et que la transition s’est bien faite.
3. Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la pratique du droit?
Si j’avais une baguette magique, je ferais tout pour que chaque personne ayant besoin d’obtenir justice ait accès au système. Personne ne devrait laisser tomber ses droits ou se représenter seul, non pas par choix mais par obligation. Mon souhait serait de faire en sorte qu’il y ait un accès pour tous à la justice.
4- La perception du public envers la profession et les avocats en général est-elle plus positive, égale ou moins positive qu’elle ne l’était lors de vos débuts en pratique? Et pourquoi, à votre avis?
Je ne saurais dire si la perception est meilleure ou pire, mais il est évident que le problème d’accès à la justice, vu les coûts et les délais qui vont de pair avec le système, portent ombrage aux avocats. Même si le problème ne vient pas uniquement des avocats, ils en portent bien souvent le blâme.
L’accès à la justice est quelque chose sur lequel tous les intervenants – juges, ministères, Barreau du Québec et avocats – doivent s’impliquer. Nous devons tous travailler à trouver des solutions pour améliorer les choses.
A mon avis, il faut soutenir les projets de pratique innovante qui permettent un meilleur accès. Il faut encourager la nécessité de faire les choses autrement et supporter la justice participative. La préparation d’états généraux permettant d’arriver à des solutions concrètes et globales et faisant intervenir bien des gens, y compris le public, est à mon avis une façon d’améliorer les choses.
5. Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un débutant sa carrière et voulant réussir en pratique privée?
Je crois que les jeunes possèdent tous les outils nécessaires pour réussir autrement, en s’ouvrant à de nouvelles façons de faire. Récemment, une conférence de la Fédération des ordres professionnels de juristes abordait le sujet des qualités recherchées chez un jeune avocat. Il était intéressant de constater que les compétences juridiques se retrouvaient dans le bas de la liste, non parce qu’on ne recherche pas des gens compétents, au contraire, mais plutôt parce que c’est quelque chose de base, qu’on veut pouvoir prendre pour acquis. Les qualités importantes identifiées, elles, étaient notamment celles de la ponctualité, du dévouement, de la loyauté et de l’appartenance. Des valeurs de base, mais des valeurs extrêmement recherchées chez ceux qui embauchent leurs futurs associés.
Plusieurs universités, de même que l’École du Barreau, sont en train de revoir leur cursus dans le cadre de cette grande réflexion sur la nécessité de former les avocats non seulement au droit et aux aspects techniques de la pratique, mais aussi sur la gestion d’entreprise et la gestion d’un cabinet. L’objectif est, ici, de permettre aux jeunes d’être mieux outillés pour démarrer des cabinets qui, je l’espère, sauront sortir des sentiers battus.
· Le dernier bon livre qu’elle a lu : « La vérité sur l’affaire Harry Québert » (auteur : Joël Dicker), un excellent polar!
· Son groupe fétiche : Elle adore les Cowboys Fringants et apprécie aussi la chanson « La langue de mon pays » (interprète : Yves Duteil).
· Son expression préférée : « Le seul endroit où le mot travail vient après celui de succès, c’est dans le dictionnaire! »
· Elle craque pour…les belles randonnées de ski de fond par une douce journée d’hiver ensoleillée.
· Son restaurant préféré : La Planque (3ième avenue, Québec).
· Deux pays qu’elle aimerait visiter : l’Irlande et la Corse
· Le personnage historique qu’elle admire le plus: Annie MacDonald Langstaff, qui s’est battue pour l’accession des femmes au Barreau du Québec. Elle n’a jamais pu accéder au Barreau malgré le fait qu’elle avait complété son droit, mais elle a certainement ouvert la voie!
· Si elle n’était pas avocate, elle serait… photographe ou une entrepreneur qui achète, rénove et revend des maisons, duplex ou autres!
Membre du Conseil général de l’Ordre de 2001 à 2008, elle a été bâtonnière de Québec en 2007-2008. Elle occupait, depuis juin 2015, la fonction d’administratrice pour la région de Québec au sein du Conseil d’administration. Bâtonnière du Québec depuis septembre 2015, elle exerce, à ce titre, un droit de surveillance général sur les affaires du Barreau du Québec et assume toutes les responsabilités liées à la fonction de bâtonnière du Québec dont, notamment, la mise en place de stratégies et d’outils visant le déploiement d’une nouvelle culture judiciaire nécessaire pour soutenir l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile.
Présidente de la section provinciale du droit de la famille de l’Association du Barreau canadien jusqu’en juin 2010, elle a par ailleurs été chargée de cours en droit de la famille à l’Université Laval et responsable des ateliers en droit collaboratif à l’École du Barreau en 2008 et 2009. Elle a aussi agi à titre de conférencière ou formatrice, entre autres, auprès des juges de la Cour supérieure du Québec et des juges de la Cour du Québec, d’avocats spécialisés en droit de la famille et du public.
Comme bénévole au YWCA de Québec, Me Prémont a offert des conseils en matière de droit de la famille, des personnes et des successions. Elle a aussi été membre du Conseil d’administration de la Fondation Signes d’Espoir.